La plus vieille Princesse de Hué est décédée à l’age de 100 ans!

Elle était apparue dans l’emission « Faut pas rêver » en 2014 (1) et c’est à cette occasion que nous l’avions rencontrée. Depuis, on lui rendait visite 2 ou 3 fois par an et c’était un plaisir de lui parler et de l’entendre évoquer ses souvenirs. Ces dernières années, elle a parfois été malade mais s’était toujours remise. Mais en ce mois de mars 2023, elle s’est éteinte dans son lit, à l’age de 100 ans!


Photo Facebook

Elle se s’est jamais départie de son sourire légendaire et de sa bonne humeur. Avec sa voix douce, elle nous racontait sa vie avec beaucoup de simplicité. On essayait d’en savoir plus sur la dernière reine mére, Tu Cung, mére de Bao Dai, mais elle n’a jamais trahi d’éventuels secrets. Non, sa vie était simple et elle n’avait pas l’intention d’en changer. Tous les jours, elle continuait à travailler, au moins 2 heures, pour se maintenir en forme. Avec des yeux de chats, elle continuait à coudre des coussins mandarinaux, comme autrefois. Trés talentueuse, elle comprenait et apprenait vite.

Sa reputation avait depuis longtemps dépassée les frontiéres de la province de Hué. On venait de Hanoi ou de Saigon pour la rencontrer voire pour lui commander de nouveaux coussins. Meme Vo Nguyen Giap avait souhaité la rencontrer.

Elle avait aussi un grand cœur. Avec l’argent qu’elle avait gagné de ses coussins, elle avait acheté un terrain pour aider une communauté de femmes âgées dans le besoin. Dernièrement, l’argent gagné lui avait permis de reconstruire la maison de sa famille, avec qui elle vivait depuis de nombreuses années. Une partie de la nouvelle maison, encore en travaux, ne pourra pas être terminée avant 3 ans, suivant les rites funéraires en vigueur ici.


La Princesse en 2020 lors de l’une de nos visites

On se souviendra longtemps d’elle!

(1) Voir l’article sur mon blog paru en 2014: https://blogparishue.fr/la-princesse-et-les-coussins-royaux/

Hué: un art de vivre millénaire retrouvé

Rendre visite à Kim Lan dans sa propriété, c’est comme plonger pour quelques heures dans le hue d’autrefois, du temps de sa splendeur. On ne peut qu’être charmé, tant par les lieux que par la personnalité et le talent de Kim Lan.


Kim Lan nous reçoit toujours royalement..

Ne vous fiez pas à son âge.. elle a beau avoir 80 ans, elle conserve une énergie et un dynamisme que peu d’entre nous ont. Kim Lan est née à Hué. Elle est de sang royal par sa mère et sa grand mère. Son père eut un poste important dans l’administration mais fut tué aux premières heures de la guerre. Kim Lan étudie la philosophie à Hué puis obtient l’une des premières bourses pour aller étudier en Allemagne. Nous sommes en 1965, elle a 25 ans. Elle apprendra la langue de Goethe là bas puis, après un long parcours universitaire, enseignera pendant plus de 10 ans la philosophie comparée orientale (bouddhisme) à l’Université de Munich. En parallèle, elle ouvre un restaurant des spécialités de Hué, ce qui lui permet de ne pas oublier le Vietnam et de gagner suffisamment d’argent pour ses futurs projets.


Kim Lan devant sa maison d’habitation


L’écran traditionnel dans le jardin

Une fois la retraite acquise, elle décide de revenir à hué pour mettre son talent au service de sa ville natale.

La propriété familiale est une maison-jardin. Elle est située en bordure de la rivière des parfums, à quelques centaines de mètres de la pagode Tien Mu. Le terrain faisait 3500m2, mais une partie a été « pris » après 1975. Le jardin d’agrément est bien ombragé, inondé lors des crues régulières. Porche, écran traditionnel, maisons dans le style local, rien ne manque. Par le jardin, on accède à trois bâtiments traditionnels. Le mobilier est exceptionnel. Ce qui n’est pas d’origine familiale a été acquis localement, comme le très beau lit ayant appartenu à la dernière reine mère, Tu Cung. Du mobilier plus moderne a été fait par le frère de kim Lan, créateur de talent qui exporta de nombreux meubles en bois..


festival de couleurs lors des fetes

Depuis son retour, Kim Lan organise de nombreuses expositions et réceptions dans sa propriété. Expositions d’art, d’ao dai, de photos. A chaque fois, ses réceptions sont de merveilleux lieux de rencontre pour le monde culturel et artistique. La gastronomie y est sublimée : elle reçoit ses invités avec des mets préparés par elle et son équipe, dans la plus pure tradition de Hué. Offrir de telles réceptions serait inabordable en Europe, alors on l’apprécie d’autant plus…


Chorégraphie lors d’une des réceptions, avec l’artiste franco vietnamien Sébastien Ly


Nombreuses invitées en ao dai, pour le plaisir des yeux.. et des selfies!


La gastronomie locale à l’honneur, un plaisir d’autrefois retrouvé..

Kim Lan écrit beaucoup sur les traditions locales, sur la vie passée, sur le bouddhisme, participe à des colloques.. On l’a vu récemment s’exprimer en français sur l’apport de Corneille dans le théâtre traditionnel vietnamien..

Kim Lan a mis à profit la période du covid 19 pour ouvrir un petit musée au sein de sa propriété (1). On y découvre de nombreux objets usuels d’autrefois, au milieu d’une riche collection de céramiques trouvées par les pécheurs dans la rivière de parfums. Pour le visiteur, c’est surtout la chance de pouvoir accéder à sa propriété et de découvrir un intérieur authentique de Hué.


Vue d’une partie du musée de Kim Lan


Visite de la consule japonaise de Danang

La propriété a d’ailleurs servi au tournage du film sur Tring Cong Son, auteur compositeur très célèbre au Vietnam, et qui fut aussi ami de Kim Lan.

Des projets, Kim Lan n’en manque pas. Son prochain objectif est d’ouvrir un centre culturel européen à Hué. La ville a beaucoup de chance d’avoir Kim Lan. Elle nous offre le meilleur des deux cultures, locales et occidentales, à travers un généreux trait d’union.

(1) Bảo tàng Gốm Cổ Sông Hương (Huong River Antique Pottery Museum). Se renseigner sur la page fb « Lan Viên Cố Tích ».

Découvrir Hué avec un couple franco-vietnamien

Vous voulez découvrir Hué ? Si vous voulez comprendre le Vietnam d’aujourd’hui ou si vous êtes intéressé par l’un de mes thèmes de prédilections comme la culture locale, la période coloniale, l’histoire (hormis la guerre), l’architecture ou même le catholicisme, je peux vous aider à découvrir la ville et échanger avec vous. Attention, les étrangers ne peuvent être guides touristiques au Vietnam, il ne s’agit donc pas de visites guidées. Mais une ballade ou une simple rencontre avec un français passionné, marié à une vietnamienne et vivant à hué depuis plus de 10 ans. Envoyez-moi un email pour plus de précisions avec vos centres d’intérêt. Voyageurs individuels bienvenus car c’est plus facile pour la moto..

Et si vous voulez simplement en savoir plus sur notre vie ici et sur la culture locale, alors rencontrons nous au cours d’un repas.. Ma femme, de Hué depuis toujours et parlant bien français, et moi-même seront heureux de partager avec vous nos connaissances.

N’hésitez à nous contacter !

Ham Nghi, empereur exilé et artiste

Qui était donc Ham Nghi, empereur d’Annam qui n’a régné que quelques mois en 1885 ? Héros de la résistance nationale selon les vietnamiens ou dangereux révolutionnaire pour les français ? La parution d’un livre (1) sur lui permet d’en savoir un peu plus sur le personnage et de casser quelque peu le mythe.


Portrait du roi Ham Nghi, Wikipédia

On rappellera juste que le roi (2) Ham Nghi a été rendu responsable par les français d’avoir déclenché une attaque puis un soulèvement contre eux en 1885. Il avait alors 14 ans ! Capturé après 3 ans de fuite, le roi est aussitôt exilé à Alger ou il restera jusqu’à la fin de ses jours en 1944.
Amandine Dabat a eu accès à sa correspondance, ce qui permet de mieux comprendre l’état d’esprit de l’empereur déchu. A son arrivée en Algérie, il n’a rien perdu de sa haine contre les français. Il ne reniera jamais le régent qui l’a entrainé dans une pareille folie. Mais loin de sa patrie, sans famille ni amis, ne parlant pas le français, il n’a d’autres choix que de se résigner. Mais cette attitude va progressivement évoluer vers des sentiments meilleurs au fur et à mesure des amitiés qu’il va nouer et de la vie matérielle qu’on lui offre. Il peut notamment développer ses talents artistiques en toute liberté. Il se marie en 1904 avec une française avec qui il aura 3 enfants. Il mène une vie artistique et bourgeoise, emprunte de nostalgie et de tristesse, mais sans jamais aborder sa vie d’avant ni même esquisser le moindre propos politique. Sa vie sociale est riche et il noue de nombreuses amitiés sincères avec des hommes politiques, des artistes et l’aristocratie locale. Avec femme et enfants, il se rend fréquemment en métropole pour rendre visite à sa belle famille, pour des vacances au bord de la mer ou pour exposer ses toiles. Ses enfants recevront une éducation française et son fils deviendra même officier dans l’armée française, passant l’essentiel de sa vie militaire en Afrique du nord et luttant, on peut l’imaginer, contre les nationalistes locaux.. La pensée de Ham Nghi se trouve sans doute dans cette phrase souvent entendue par ses enfants: « Vous ne serez jamais de bons Annamites, alors soyez de bons français ».


Le Prince d’Annam, 1926, The Bancroft Library, photo extraite du livre d’A. Dabat

L’exploitation méthodique de son abondante correspondance fournit un luxe de détails sur nombre de ses relations. Tout porte à croire qu’il a fini par changer d’opinion sur la France.
Mais ce livre n’est pas une biographie. Ham Nghi n’a jamais voulu évoquer ses souvenirs, n’a jamais écrit ses mémoires. Les témoins de son histoire ne sont plus là pour en parler. Et que valent ses propos dans des courriers dont on sait qu’ils faisaient l’objet de surveillance ? C’est vrai que ses silences ont alimenté fantasmes et fascination. L‘ouvrage montre que « le Prince d’Annam », comme les français l’appelaient, n’avait pas l’envergure qu’on voulait lui faire porter.


Exposition consacrée à Ham Nghi en 2023, au musée des objets royaux de Hué.

Reste l’artiste et le talent de l’auteur est d’avoir retrouvé de nombreuses peintures, dessins et sculptures. Ham Nghi était vraiment doué, même si on peut regretter l’absence de portraits ou de scènes de vie. L’essentiel de ses peintures sont des paysages locaux dans le style classique, impressionniste ou nabis. Seule une partie des œuvres a été retrouvée, la plupart ayant disparu lors de l’incendie de la propriété d’Alger lors de troubles en 1964.
Ham Nghi repose aujourd’hui dans le cimetière de Thonac, en Dordogne, loin de son pays natal. Le gouvernement Vietnamien aimerait bien rapatrier sa sépulture à Hué, mais la famille semble s’y opposer. C’était pourtant le souhait de l’empereur.


Marcelle Laloe, la femme de Ham Nghi, et leurs 3 enfants. 1918. Photo extraite du livre d’A. Dabat, fonds Capek

La moralité de cet ouvrage est que si vous souhaitez laisser une trace précise de votre vie, il faut écrire vos souvenirs vous-même. Ne pas le faire vous expose soit à tomber dans l’oubli, soit à prendre le risque de voir votre vie dénaturée par d’autres. Si vous pensez que votre vie n’a pas été à la hauteur des attentes des autres, ne faites rien non plus, cela entretiendra pour l’éternité une certaine aura de mystère ..

Article dédié à la famille Laloe de Lille.

(1) : Ham Nghi, Empereur en Exil, artiste a Alger », Amandine Dabat, Sorbonne Université Presse, 2019, 544 pages. Livre présenté à Hue en décembre 2022. Amandine Dabat fait partie de la descendance de Ham Nghi.
(2) : j’emploie sans distinction le terme « roi » et « empereur »

Le confucianisme (partie 2)

Enseignées par les lettrés dans les villages, les études confucéennes visaient moins à acquérir des connaissances qu’à inculquer une morale, à donner des règles de vie, des principes de conduite. Dès le premier jour de classe, des gosses de six ans récitaient « Dès sa naissance, l’homme est bon par nature…Le jade non travaillé n’a aucune valeur.. L’homme qui n’étudie pas, ne connait pas le principe des choses… »
Pendant des années, l’enfant, puis le jeune homme, puis l’homme mûr récitait, commentait des sentences, des textes classiques, pour savoir comment honorer ses parents, se conduire envers ses frères et sœurs, comment servir son roi, comment se comporter en toutes circonstances dans la vie. L’histoire était très étudiée, non pour connaître le déroulement des événements ou le développement des sociétés, mais pour y puiser des exemples de comportement. Peu importait que ce fût l’histoire chinoise, et non l’histoire vietnamienne: bien plus riche, l’histoire de Chine fournissait une matière beaucoup plus volumineuse pour donner des exemples d’attitudes, de comportement des personnages et éclairer la doctrine morale du Maître.

Confucius avait été parmi les premiers penseurs de l’humanité à centrer toute l’attention des hommes sur des problèmes purement humains. Il avait été le premier humaniste, au sens plein du mot.

S’il fallait en définir les composantes essentielles, on pourrait les réduire à quatre :
– la tolérance envers autrui (ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît à toi-même),
– le savoir qui permet d’adopter une attitude juste dans toutes les circonstances de la vie,
– le courage pour remplir ses obligations,
– la bonne tenue selon les rites

L’homme confucéen est donc quelqu’un qui a fait beaucoup d’études, mais son instruction est relativement bornée, car il ne s’intéresse qu’aux « sciences humaines » et reste complètement indifférent à tout ce qui concerne la nature. Il est profondément moral, imbu de principes auxquels il croit sincèrement. Il ne peut concevoir que l’homme puisse se dérober à ses obligations sociales. Il est cérémonieux, respectueux des conventions sociales, ne tolère aucun laisser-aller dans ses gestes, ses paroles, son habillement.

Le confucianisme était en réalité plus que conservateur, il se tournait résolument vers le passé. Même la piété filiale doit être considérée du point de vue du maintien de l’ordre social. La piété filiale devient une chaîne bridant toute initiative. Quand les parents sont en vie, il est interdit aux enfants de voyager. Honorer ses parents, c’est surtout faire comme eux, vivre comme eux, ne rien changer aux habitudes de vie et de pensée.

Pour l’instruction, il s’agissait avant tout d’apprendre par cœur des textes, de savoir les commenter dans l’esprit de la plus complète orthodoxie. Il ne fallait pas changer une seule virgule aux textes « sacrés ».

Mais une question d’importance n’avait pas été tranchée directement par Confucius. D’où venait le pouvoir ? Quelle était la justification, l’origine de toutes ces règles, ces rites, ces principes à suivre ? Le ciel ou le peuple ? Ce n’était pas qu’un débat idéologique mais un combat séculaire. Les paysans sans terre réclamaient plus d’équité, moins de corvée, l’abaissement des fermages. Les idéologues de la monarchie absolue considéraient que le roi recevait un mandat du ciel pour gouverner en son nom. Le pouvoir était donc céleste. Les mandarins suivaient bien entendu cette dernière ligne et finissaient par abuser de leurs prérogatives.

Restaient les lettrés des villages qui vivaient près du peuple. Ils étaient les maitres à penser des villages, dispensant leurs conseils au quotidien. L’ordre moral dépendait de cette vaste confrérie de lettrés que chaque concours rassemblait par milliers dans les centres administratifs du pays. Les mêmes livres et les mêmes maîtres avaient formé les mandarins et les lettrés, mais pendant que les uns s’enfermaient derrière les murs des résidences mandarinales, les autres continuaient à vivre au milieu du peuple, parmi les paysans des villages.

Les lettrés communiaient dans la même vénération de l’Empereur que les mandarins dans les périodes de prospérité. Mais advienne une inondation catastrophique, une sécheresse prolongée, le règne d’un roi débauché, les paysans pauvres exaspérés se révoltaient. Et des lettrés de village prenaient alors la tête du mouvement, se réclamant du moralisme confucéens pour essayer de renverser la monarchie régnante

Ce mouvement d’oscillation dura jusqu’à l’arrivée des français.

(à suivre)

Les mandarins et les lettrés (partie 1)

Dans le Vietnam féodal, l’empereur régnait, les mandarins administraient.

Pour devenir mandarin, il fallait réussir un concours qui se tenait en général tous les 3 ans. Le premier concours avait été institué en 1078 et les français y ont mis fin en 1919. Les concours étaient ouverts à tous les hommes. Les épreuves comportaient des dissertations littéraires, morales, politiques, la composition d’un poème, la rédaction de textes administratifs.. La morale confucéenne était la base de ces épreuves.


Proclamation des lauréats lors du concours triennal de Nam Dinh en 1897, colorisation d’une photo d’A. Salles, source Gallica

Des concours régionaux décernaient des titres de bacheliers et de licenciés. Ceux-ci avaient ensuite le droit de se présenter aux concours impériaux qui se passaient à la capitale, sous la haute autorité de l’Empereur lui-même, pour les titres de doctorat.

Les candidats se pressaient par milliers dans les centres régionaux, chacun venait avec une tente, une tablette, s’installait avec les autres sur un vaste terrain réservé à cet effet. Du haut de grandes guérites, les mandarins examinateurs surveillaient les candidats, et des miliciens faisaient la ronde pour enrayer toute tentative de fraude.

II y avait beaucoup de candidats, très peu d’élus, à peine une centaine sur plusieurs milliers dans les concours régionaux. En presque un millénaire, il avait été décerné seulement deux mille titres de doctorat. On peut encore voir aujourd’hui quelques-unes de leurs stèles au temple de la littérature à Hanoi ou à Hué.

Quand les lauréats rentraient au village natal, les autorités locales et la population les accueillaient, musique et drapeaux en tête, et toute la population allait à leur rencontre. Devenir mandarin a été pendant des siècles le rêve suprême de la jeunesse masculine. Car c’était beaucoup plus qu’une réussite universitaire: le lauréat sortait des rangs du peuple pour entrer dans la caste des mandarins.


Retour d’un lauréat en ville, en 1897, colorisation d’une photo d’A Salles, source gallica

Car le mandarin est beaucoup plus qu’un fonctionnaire assis derrière son bureau. La vie du mandarin se situait pour ainsi dire à mi-distance entre celle du seigneur féodal et celle du fonctionnaire moderne. La résidence mandarinale était à la fois bâtiment administratif et logement familial. Quand il sortait, deux ou trois gardes le suivaient, porteurs d’enseignes, de parasols, et devant ce décorum, les gens s’écartaient et saluaient respectueusement. Quand il allait voir le mandarin, l’homme du peuple se trouvait face à un représentant de la majesté impériale. Le déploiement de bannières, d’enseignes, d’armes, d’inscriptions en lettres d’or, toute une étiquette faite de gestes, de formules obligatoires l’incitaient à courber la tête, à baisser le ton de la voix.


Mandarin avec ses attributs, en tournée (photo colorisée)

Les milliers de candidats malheureux aux concours mandarinaux retournaient au village et continuaient inlassablement à préparer le concours suivant. Ainsi on voyait des lettrés se présentaient fort âgés et affronter les mêmes épreuves que des jeunes gens âgés de 18 ans. Mais il fallait aussi gagner sa vie. Mais quand on avait fait des études pendant de longues années, il n’était plus de mise de tenir la charrue ou des outils d’artisan, encore moins de pratiquer un négoce. L’administration royale vous dispensait de toutes les corvées. On restait un lettré pour le reste de ses jours. Alors on se faisait précepteur, maître des cérémonies, écrivain public. Certains devenaient médecins, faisaient de la géomancie, ou excellait dans le théâtre local. Mais la fonction la plus honorable était celui de maître d’école. A cette époque, l’Etat ne s’occupait pas des écoles laissées entièrement à l’initiative privée. Mais la soif d’apprendre était telle que les écoles existaient partout. Les enfants du village venaient là pour apprendre à lire, à écrire, à réciter par cœur les textes classiques. Les plus avancés apprenaient à disserter sur les thèmes traditionnels de la doctrine confucéenne. Même les familles pauvres faisaient leur possible pour envoyer leurs enfants (du moins les garçons) en classe, au moins pour apprendre quelques maximes. Partout c’était le système du maître unique et de la classe unique. Dans un coin, des enfants ânonnaient quelques idéogrammes qui devaient leur inculquer les fondements de la morale traditionnelle, pendant que le maître commentait pour des hommes quelquefois très âgés des textes ardus, les préparant aux grands concours. Le nombre des élèves dépendait essentiellement de la notoriété du maître. Les grands lettrés jouissaient d’une réputation et d’une audience nationale.


Lettré en train d’enseigner