A 76 ans, le dernier mariage du Prince Tuy Ly Vuong

Le Prince Tuy Ly est le 11eme fils du roi Minh Mang. Il est né le jour de la mort de son grand père, le roi Gia Long, en 1820. Comme beaucoup de princes, il fut poète. A peine âgé de treize ans, on le surnommait déjà « le Prince poète ». Sa notoriété alla jusqu’à la cour de Pekin. Très apprécié par le roi Tu Duc pour la sagesse de ses points de vue, il jouissait d’une très grande autorité morale à la Cour. A la mort de Tu Duc, il s’opposa aux deux régents tyranniques Nguyen-van Tuong et Ton-that-Thuyet, ce qui lui valu bien des soucis (son fils ainé fut tué) puis une grande reconnaissance de la part des Français.


Le Prince Tuy Ly Vuong (source bulletin des Amis du Vieux Hué, 1925)

Lors de l’avènement du roi Than Thai en 1889, il fut nommé à la tète du conseil de régence, en charge d’assurer les affaires publiques pendant la minorité de l’empereur.

Lors de son périple en Asie, l’écrivain voyageur Marcel Monnier passe par Hué et raconte sa rencontre avec le Prince. Nous sommes alors en 1896. Le Prince, qui a donc 76 ans, célèbre … son mariage !

« [..] il nous conviait dans sa maison [..], à la pointe d’une île verdoyante, au milieu des bambous et des lataniers géants, à une fête non moins originale quoique plus intime: un déjeuner donné en l’honneur… de son mariage. Parfaitement: cet octogénaire (1) prenait femme. Ce n’est point qu’il eût attendu si tard pour renoncer au célibat(2) ou qu’il voulût ne pas terminer ses jours dans un triste veuvage. La destinée lui a été clémente, la mort a fauché autour de lui à coups discrets. Des trente épouses dont l’affection embellit sa longue existence, il lui en reste encore vingt quatre à l’heure présente. Mais, au déclin de la vie, on ne saurait trop être entouré; ensuite, un homme de ce rang se doit à lui-même de laisser en mourant un très nombreux personnel, dont l’unique fonction sera désormais de veiller sur sa tombe et d’honorer sa mémoire. »

« En attendant, debout sur le seuil du logis pavoisé pour la circonstance aux couleurs de France et d’Annam, il nous souhaitait la bienvenue de la façon la plus affable. »


La maison de culte du Prince aujourd hui. En caractère chinois, on peut lire, « Temple cultuel du prince Tuy-Ly » (au centre)« Sa piété filiale et Sa fidélité furent dignes d’admiration » (a droite) « Son intelligence était vaste et sa conduite exemplaire » (à gauche)

« L’événement qu’on célébrait intéressant spécialement la famille, la domesticité, complètement tenue à l’écart, avait été remplacée par les enfants de la maison. Je veux parler des mâles. Les femmes, naturellement, y compris la nouvelle épouse, restaient confinées dans leurs appartements. »

« De ses unions diverses il lui est né de cinquante à soixante enfants, dont trente-cinq fils (3). Notre hôte nous confesse ingénument ne point se rappeler au juste le nombre des filles. J’ai compté là vingt-sept garçons, depuis le gamin de douze ans jusqu’au lettré à besicles frisant la cinquantaine. Tous nu-pieds. La tenue seule différait suivant l’âge : les aînés en tunique bleu foncé et larges pantalons de foulard blanc, les adolescents vêtus de vert avec le pantalon de soie cerise, les plus jeunes habillés de rouge de haut en bas. Le rôle de ces derniers consistait seulement à manœuvrer les immenses éventails de plumes fixés au bout d’une gaule et dont le courant d’air violent donne, de minute en minute, la sensation d’une douche. Seuls, les grands avaient charge de la table, tendaient aux convives, en fléchissant légèrement le genou, les plats que les moyens étaient allés quérir aux cuisines. Notez que, parmi ces serviteurs improvisés, plusieurs occupaient dans le mandarinat un grade enviable, une haute fonction dans l’Etat. Un personnage de mine distinguée qui venait de m’offrir du cerf en gibelotte remplissait, parait-il, en temps ordinaire, l’important et double emploi de conservateur des tombes royales et d’inspecteur des Rites — on dirait chez nous des Pompes funèbres. Et c’était véritablement touchant de les voir, attentifs et empressés, se relayer auprès du père, se faire tout petits, très humbles, attendre, inclinés et muets, les ordres que le vieillard leur jetait à voix basse.
Je suis sorti de là profondément impressionné »


Photo publiée en 1925. Peut être la dernière épouse du Prince ?

«Je me sentais pris d’enthousiasme pour un pays où les plus respectables traditions sont demeurées à ce point vivaces, où l’autorité de l’aïeul et du père est la loi suprême»

Le Prince mourra un an plus tard, en 1897. Depuis, ses nombreux enfants se sont établis dans le quartier Vi Da et, de nos jours encore, on peut y voir de nombreuses maisons historiques. Sa famille était de 400 membres en 1929 et donc de plusieurs milliers de nos jours… Sa maison de culte est à l’emplacement de sa demeure historique, au 140 rue Nguyen Sinh Cung. Quant à son tombeau, il est à l’arrière de la rue Bui Thi Xuan. Il est enterré là à coté de sa mère, l’une des épouses de Minh Mang. Aujourd hui, le Prince est reconnu comme l’un des plus grands poètes du pays.

(1) à cette date, le prince avait en réalité 78 ans suivant l’âge annamite,
(2) Le Prince se maria pour la 1ére fois à l’âge de 16 ans, avec une épouse choisie par le Roi Minh Mang,
(3) Officiellement, le Prince eut 40 fils et 36 filles

Pour une meilleure compréhension, l’orthographe a été modifiée de « Touli » à « Tuy Ly » son nom officiel

Source : revue BAVH 1925, 1929
Livre de Marcel Monnier disponible sur Gallica : « Tour d’Asie, Cochinchine, Annam, Tonkin » publie en 1899

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