Je suis toujours impressionné quand je vois des bustes de missionnaires européens dans certaines paroisses vietnamiennes. Qu’ont-ils fait de si extraordinaire pour être toujours honorés de nos jours ?
C’est le cas du missionnaire Fasseaux dans la paroisse de Nuoc Ngot (« eau douce »), à mi chemin entre Hué et Danang.
L’église actuelle de Nuoc Ngot. L’église construite par le P. Fasseaux a été épargnée par la guerre mais a été reconstruite depuis.
Raphael Fasseaux est né au canada en 1896 de parents belge partis la bas pour y vivre mieux. Mais suite à la perte de leur premier enfant, ils décident de rentrer au pays, à Strée, dans le Hainaut belge, à proximité de la frontière française et de l’avesnois.
Le buste du P. Fasseaux, avec le curé actuel de la paroisse, le Père Phanxicô Xaviê Ho Van Uyen, et la Soeur en charge du centre d’acceuil « Thérésa »
Quelques années plus tard, Raphael entre aux MEP, devient prêtre en 1922 et rejoint sa terre de mission, à Hué, l’année suivante. Il fait sensation en arrivant avec une solide bicyclette Manufrance. L’évêque du diocèse, Mgr Allys, l’accueille avec joie d’autant plus qu’il est le premier religieux à rejoindre l’ Annam depuis 1913. Après diverses taches et l’apprentissage de la langue vietnamienne, il rejoint la paroisse de Nuoc Ngot, qui sera la grande affaire de sa vie.
Nuoc Ngot est une paroisse pauvre de campagne. Elle a été créée avant 1750 et a subi de nombreuses épreuves. En 1883, lors des persécutions menées par le roi Tu Duc, le curé et 43 paroissiens sont violement tués. Un martyrium a été construit à quelques kilomètres du village pour rappeler cet événement douloureux.
Intérieur de l’église de Nuoc Ngot
Le jeune missionnaire qui arrive est un solide gaillard, énergique et déterminé. Et un bâtisseur! En quelques années, il construit une église, une école, un dispensaire et accueille les Filles de Marie Immaculée (FMI) (1) pour faire tourner ses œuvres. Apres un passage de 4 ans comme professeur au grand séminaire de Hué, il revient dans sa chère paroisse. Ses premiers édifices, construit à Nuoc-Ngot, servent de modèles et sont érigés par ses soins dans plusieurs villages voisins. En 1940, une maternité et un hôpital, un centre d’hébergement pour personnes dépendantes voient le jour, fréquentés par plusieurs centaines de patients tous les jours. En 1944, il ouvre un centre de formation pour les sœurs.
Ingénieux et malin, il arrive à obtenir à bas prix les matériaux dont il a besoin des entreprises de Tourane (Danang aujourd’hui) et des fonds de Belgique et de France. Par son entregent, il obtient les soutiens nécessaires. Comme pour l’église de Nuoc Ngot où 3 cloches, fondues en France, lui ont été offertes : l’une par les Mep, l’autre par sa famille, et la troisième par la reine Nam Phuong. Elles ont fait la fierté du diocèse pendant de nombreuses années.
Au delà des constructions, c’est le grand cœur et la simplicité du père missionnaire qui éblouirent les villageois, catholiques ou pas. On parle de lui comme d’un « saint vivant », avec une « vie vertueuse, charitable, simple, pauvre ». Sa nécrologie donne de nombreux exemples : « On pouvait rencontrer le jeune Père Raphaël, à cette époque, parcourant les 50 km qui le séparaient de Hué, juché sur sa légendaire bicyclette, la barbe au vent, souvent pédalant nu-pieds…. Il aurait pu prendre le train qui passait à 500 m de son église, mais il se voulait exactement adapté à la mentalité simple et surtout au niveau de vie des plus modestes des braves cultivateurs qu’il évangélisait. D’une sobriété ascétique que sa robuste santé pourra supporter jusqu’à ses dernières années, il se contentait le plus souvent d’un ou deux bols de riz frugalement assaisonné de saumure de poisson et de quelques légumes et d’une banane, ce qui représentait à peu près le repas du pauvre. » Il dort sur une planche en bois avec un oreiller dur, à la mode du pays.
En revanche, toutes les ressources dont il dispose sont utilisées pour améliorer le sort de ceux qui l’entourent. Achat de terre agricole qu’il distribue, mise en place de plantations, vente de bois pour les locomotives du chemin de fer…
Le portrait du Père Fasseaux (source Mep)
Lors du coup de force des japonais le 3 mars 1945, il n’est pas trop inquiété, car il a la nationalité belge. Lors des événements de fin 1946- début 1947, il voit ses collègues français emmener à Vinh, à 360km de Hué. Les troubles ne cessent pas et il doit finalement rejoindre Hong Kong pour un temps puis repartir en Belgique, en 1950. Apres les accords de Genèvre, il revient au Vietnam, dans plusieurs paroisses, le long du 17eme parallèle. En 1966, la guerre s’intensifiant et souffrant lui-même de problèmes de santé, c’est avec un immense déchirement qu’il doit repartir en Belgique ou il mourra 3 ans plus tard dans sa paroisse de Ragnies.
Que reste-t-il de tout cela aujourd’hui ? Le dévouement et l’exemplarité du père missionnaire ont impressionné nombre de villageois. A tel point que de nombreux enfants du pays sont devenus prêtre.
Et si la plupart des bâtiments et terrains ont été transférés au gouvernement en 1975, la communauté catholique est toujours bien vivante! La paroisse compte officiellement 2000 paroissiens mais la moitié d’entre eux sont partis loin du village pour travailler dans les grandes villes. Il faut dire que les terres tout autour de Nuoc Ngot sont pauvres, aucun arbre fruitier ne pousse. Coincé entre la lagune et les collines de l’Annam, le climat est rude en été, terriblement humide l’hiver.
Les Filles de Marie Immaculée sont toujours là, s’occupant d’un centre d’accueil pour les enfants. Certains viennent des ethnies du centre Vietnam, d’autres sont handicapés ou malentendants, la plupart sont orphelin de père ou de mère. Le Resort Laguna, situé non loin, apprend aux enfants à dessiner. 16 religieuses s’occupent de ce centre. La canada et le japon font partis des donateurs.
La rivière sur laquelle avait été construit le barrage « Pasteur »
Un peu plus loin dans le village, on trouve une jolie rivière ou les français avaient construit un barrage pour irriguer les alentours. Le barrage qui s’appelait « Pasteur » a permis de faire vivre toute une communauté catholique que le père Fasseaux a installé là vers 1937, en y construisant une église et en y installant des religieuses. L’église a été rasée lors des événements de 1968, et le barrage a été remplacé récemment par un autre, plus en amont. La maison des sœurs existe toujours et 2 sœurs s’occupent du catéchisme. La plupart des villageois sont partis ailleurs.
La maison des soeurs près de la rivière
Que cet article rende hommage à tous ceux qui font preuve de charité!
Merci au Père Phanxicô Xaviê Hồ Văn Uyển et aux religieuses pour leur accueil et le temps passé à nous faire visiter la paroisse.
(1): La congrégation des Filles de Marie Immaculee (FMI) a été fondée à Hué en 1920, et vient de fêter son centenaire. Elle est riche de 465 soeurs dans 12 dioceses.
Sources:
– site internet de la paroisse, https://tonggiaophanhue.org/tgp-hue/luoc-su-cac-giao-xu/luoc-su-giao-so-nuoc-ngot/
– site IRFA des Mep