Le secret des autocuiseurs à riz !

Apres 14 ans au Viêtnam, je reste fasciné par l’autocuiseur à riz (1), appareil présent dans toutes les familles asiatique. On s’en doute, il sert à cuire le riz, base de l’alimentation ici, mais penser qu’il ne sert qu’à ça est une grosse erreur. En réalité, il sert pour toutes les cuissons à base d’eau bouillante. Idéal donc pour les soupes maison. On peut aussi faire cuire les patates, la ratatouille, le curry… Pour la cuisson à la vapeur, rien de plus simple. On dispose le petit panier fourni en haut de la cuve pour y mettre les legumes ou les beignets vapeur, et on pourra donc les cuire en meme temps que la soupe. On peut aussi s’en servir pour réchauffer plutôt que cuire, il suffit de jouer avec l’interrupteur ou les fonctions électroniques proposées.

C’est donc un outil 2 en 1 fort pratique et tellement simple à utiliser.


Adorable petit autocuiseur à riz de la marque Téfal, vendu 25 euros à Hué…(traduction de l’annonce « marque française, leader mondial des articles électroménagers »)

Mais je me suis toujours demandé comment il pouvait cuire le riz, sa fonction premiere, et s’arréter automatiquement dès la cuisson terminée ? Un mystère que je viens de lever grace à un article du journal Le Monde (2).

« En effet, la cuisson s’interrompt dès que tout le liquide a été absorbé, que l’on cuise deux, trois ou quatre mesures de riz. Or, aucune sonde ne contrôle l’humidité résiduelle. Le moyen employé est un trésor d’ingénierie. Le fond de l’appareil se compose d’une résistance chauffante au centre de laquelle on trouve un cylindre monté sur ressort, qui s’enfonce lorsqu’on y pose la cuve amovible. [..]. Lors de la cuisson, et tant qu’il reste de l’eau à l’état liquide, la température ne dépasse pas 100° [..]. Mais quand tout le liquide a été absorbé, la température va rapidement grimper. L’appareil interrompt alors la cuisson. Et cela sans aucun thermostat. Comment est-ce possible ? Eh bien, le cylindre est connecté à un aimant relié à une tige métallique qui commande l’interrupteur. Cet aimant est composé d’un matériau ferromagnétique, qui perd son aimantation permanente lorsqu’il atteint une certaine température définie par le fabricant (un phénomène nommé point de Curie). Durant la cuisson, la température demeure en dessous de ce point, et l’aimant reste accroché au cylindre. Mais lorsqu’elle atteint le point de Curie, l’aimant perd subitement son aimantation et tombe au fond de l’appareil, ce qui coupe le circuit.

Tous les modèles fonctionnent de la même manière : le bol antiadhésif est chauffé par la résistance en forme de disque située au fond de la cuve. »

Ce procédé extrêmement simple permet d’offrir des appareils à moins de 20 euros.. C’est tout simplement génial ! Merci à la science et au physicien Français Pierre Curie qui a découvert cette caractéristique en 1895 !

(1) voir mon article paru en 2018: https://blogparishue.fr/vive-lautocuiseur-a-riz/
(2) « Les meilleurs cuiseurs à riz », article publié le 17 février 2025 dans le journal Le Monde
https://www.lemonde.fr/guides-d-achat/article/2025/02/17/les-meilleurs-cuiseurs-a-riz_6551215_5306571.html?origin=HPcarrousel&lmd_medium=blocservice&lmd_campaign=services_guides-achat_lmfr&lmd_creation=ricecooker

L’arbre du Tet, le « cay neu »

Cay neu signifie « sommet de l’arbre ». C’est une tradition qui s’etendait autrefois dans tout le Viêtnam, comme en témoignent les témoins du temps passé, comme Jean Koffler. Ce missionnaire a eu la chance de vivre quelques années à Hué a une époque ou aucun occidental ne résidait. Ce privilège lui était accordé car il était médecin du Seigneur Vo Vuong, qui a régné au centre Viêtnam de 1736 à 1763.


Dressage du cay neu dans la citadelle (photo journal Lao Dong)

Dans ses mémoires, il écrit, à propos du Tet à Hué : « de grandes perches sont élevées devant les portes du palais royal et de toutes les habitations. Tout en haut sont placés des rameaux verts réunis en faisceau []. Les païens ajoutent certains ornements comme par exemple des papiers légèrement teintés d’or ou d’argent [pour mettre en fuite les démons], une poignée de paille et une petite corbeille dans laquelle ils déposent quelque menue monnaie pour acheter au ciel le bonheur qu’ils désirent. Cette démonstration solennelle ne manque pas d’actes superstitieux. Ils doivent en effet lever et abaisser les perches à certaines heures déterminées, ainsi ils présagent de la bonne ou de la mauvaise fortune que leur portera l’année nouvelle. Si, par hasard, l’une des perches est abattue par le vent ou par toute autre cause, ils sont persuadés, sans qu’il soit possible de les détromper, que cette année sera fatale à quelqu’un de la maison ou de la famille. »


Le transport du bambou n’est pas la chose la plus simple à faire.. (photo television TRT)

Depuis quelques années, la cérémonie du « cay neu » est remis à l’honneur par les responsables de la citadelle. Dix jours environ avant le Tet, un immense bambou est coupé puis amené à la citadelle, pour être dressé devant l’un des bâtiments symboliques de l’ancienne capitale. Pour être valable, le bambou doit être plus élevé que le plus haut bâtiment de la propriété, ici la citadelle.

C’est une très belle cérémonie haute en couleur.

Notre amie Kim Lan organise aussi chez elle cette cérémonie et y convie ses amis.
Le protocole est strictement respecté, avec l’aide de moines bouddhistes pour les invocations et les offrandes.


Preparation de la cérémonie


Lors de l’abaissement du mat, les nombreux invités veulent à tout prix toucher l’étendart pour s’attirer à soi richesses et bonnes fortunes pour la nouvelle année..

Les superstitions sont encore très présentes à Hué et ce n’est pas juste du folklore..

Bonne fête du Têt à Hué!

Et nous voici dans l’année du Serpent!


Décorations du Têt le long de la rivière des parfums, sur l’esplanade de l’ancien monument aux morts (photo internet)


Affluence des grands jours pour se promener dans les jardins de la ville!

Et avant le jour du Tet, nous avons eu de magnifiques marchés aux fleurs..


les bougainvilliers..

A Hué, le Tet n’est pas la période la plus favorable pour la végétation.. il pleut beaucoup à cette période, les journées peuvent être fraiches. Les arbres, comme les frangipaniers, les flamboyants ou les bougainvilliers ne sont pas encore en fleur.


Seances de photos pour les vietnamiens.. ils adorent se prendre en photo!

Alors l’arrivée des fleurs du Tet un peu partout en ville met du baume au cœur et illumine nos déplacements. Elles arrivent une dizaine de jours avant le Tet.

Il y a quelques années, on retrouvait surtout des chrysanthèmes jaunes, qui sont cultivés tout autour de la ville. Ils sont vendus par paire, environ 500kvnd, soit 10 euros pièce. Le plus difficile pour les fermiers est d’arriver sur les marchés avec des fleurs peu ouvertes. Dans les campagnes, on surveille au quotidien le temps qu’il fait, et on allume des lampes la nuit si besoin pour accélérer le développement. C’est tout un art !

Depuis quelques années, on voit aussi d’autres fleurs orner les marchés. Les mandariniers viennent en général du nord Viêtnam. On ne mange pas les fruits, qui sont aspergés de produits chimiques. Mais c’est beau à voir !

On retrouve aussi des bougainvilliers multi couleurs. A force de boutures et de croisements, on arrive à obtenir des arbustes incroyables..

On peut aussi voir des orchidées, de véritables œuvres d’art.

D’un point de vue touristique, le Tet constitue une période atypique. Les vietnamiens sont surexcités à l’approche de l’évenement, achetant quantités de produits alimentaires. On nettoie la maison de fonds en comble. On repeint le mur d’enceinte. On paye ses dettes. Bien évidemment aussi, comme il s’agit d’une fete familiale, on prépare et execute de nombreuses cérémonies dédiées aux ancêtres. Avant le Tet pour les accueillir, puis après le Tet pour leur dire au revoir. Tous les enfants reviennent au domicile de leurs parents pour se réunir. C’est la seule fois de l’année ou cela se produit.


Nettoyage des objets servant au culte des ancêtres..


Les pagodes sont aussi richement décorées..

De nos jours, meme si la plupart des commerces s’arréte au moment du Tet, les touristes peuvent toujours compter sur quelques restaurants ou boutiques toujours ouvertes. Les prix sont un peu plus cher, mais cela reste raisonnable. Les vietnamiens sont très accueillants aussi à ce moment là, et seront heureux de trinquer avec vous.


Decoration d’une maison particulière.. les habitants prennent beaucoup de temps a embellir leur maison.

La vie se ralentit donc quelques jours puis reprend à grande vitesse ensuite, chacun devant repartir chez soi. C’est donc la grande transhumance, à moto et de plus en plus en voiture. Il vaut mieux éviter d’etre sur les routes à ce moment là, car les accidents sont nombreux.

Pour les amateurs de photos, les décorations du Tet sont un formidable terrain de jeux.


Les fleurs en papier, qui viennent décorer l’autel des ancêtres, et les gateaux de riz pour le Tet…

Les biscuits LU, star des épiceries pour le TET

Quand on fait ses courses dans les supermarchés vietnamiens, n’est ce pas formidable de voir des pyramides (ou plutôt des tours Eiffel..) de boites de gateaux LU, l’un de nos symboles nationaux ?

Les boites de gateaux sont un énorme marché au moment du Tet, car les vietnamiens ont pris l’habitude d’offrir des gateaux aux gens à qui ils rendent visite mais aussi, et surtout, de disposer les boites au pied des autels des ancêtres..

Les gateaux Danisa (censés être des gateaux danois) ont longtemps régné en maitre sur ce marché, mais depuis peu, de nombreux challengers tentent leurs chances, dont Lu..

Hélas, à y regarder de plus près, notre fierté nationale en prend un coup !

D’abord, Lu n’est plus une marque française. Elle appartient à une multinationale américaine, le groupe Mondelez, coté au Nasdaq… Lu côtoie ainsi, au sein de ce groupe, d’autres marques très connues, comme Oreo, Toblerone, Milka ou meme Cote d’Or..

Ensuite les gateaux ne sont pas fabriqués par des usines françaises, mais par un fabricant local 100% vietnamien.

Le pire, c’est que les biscuits sont simplement faits sur la base de « recettes françaises ». A la dégustation, je retrouve bien le style des gateaux… vietnamiens ! Et on y découvre qu’il y a 25% de sucre!

Sur certaines publicités, on parle de « beurre Français », mais sur la boite elle-même, on parle simplement de « beurre », au coté de nombreux additifs, colorants, d’huile de palme, et de « compoud », c’est-à-dire de produits recomposés, comme le chocolat.. Cette confusion serait interdite sur de nombreux marchés, notamment aux Usa. J‘imagine que nos gateaux Lu ne sont que pour le marché vietnamien..

Bref, et on l’aura compris, c’est l’image de la France qu’on cherche à véhiculer à travers ces gateaux, pas les gateaux eux meme… A 4 euros la boite de 310 grammes, ce qui est très cher pour le Viêtnam, on se dit que les dividendes des actionnaires de Mondelez doivent être assez généreux…

Mais bon, si l’image de la France peut encore faire vendre, c’est un moindre mal…

Voir aussi cette video commerciale pour les biscuits Lu:
‘https://www.youtube.com/watch?v=u9h48L_9n9g

Hommage à Charles Carpeaux, mort d’épuisement pour l’art Khmer et Cham

On n’a pas idée aujourd’hui des conditions de vie en Indochine en 1900 ! C’est ce que révèlent les lettres adressées par Charles Carpeaux à sa mère.. Une aventure menée pour la bonne cause, à savoir des recherches d’objets Chams et Khmer pour le compte de l’EFEO…

Charles Carpeaux est le fils du sculpteur Jean Charles Carpeaux, dont le musée de Valenciennes célèbre encore le genie. Charles Carpeaux a 31 ans lorsqu’il part en Indochine. Jusque là, il travaillait au musée Indochinois du Trocadéro, à faire des moulages et à s’initier à la photographie. Avec ses lettres de recommandations, il se met au service de l’Ecole Française d’Extreme Orient, l’EFEO. Celle-ci vient d’étre créé par Paul Doumer, gouverneur de l’Indochine.

L’une des missions de l’école est de dégager, recenser et protéger les richesses archéologique d’Angkor et du Champa. Il y a tant à faire !

A peine arrivé, il part donc en mission à Angkor avec l’architecte Dufour.
Sur place, le choc est rude : températures extremes, des serpents partout, une végétation inextricable qui enserre les monuments. Quelques jours après, Ils sont déjà malades et expriment meme leurs dernières volontés, « au cas ou ». Les fourmis sont avides, les araignées grosses comme la main, les singes ne les quittent pas…


Charles Carpeaux à Angkor (source EFEO)

Il écrit ; « on est frappé de l’hostilité qui émane de ces ruines superbes. Il semble qu’elles veulent garder leur mystère, que les pierres défendent le secret des choses, et que la nature leur vient en aide en les couvrant d’un voile presque impénétrable »

Il y rencontre Pierre Loti, dont la publication quelques années plus tard du célébre récit « Un pèlerin d’Angkor », enchantera le monde.

Il passe 10 mois avec Dufour et une armée de coolies (ouvriers) pour dégager le Bayon, le temple le plus fascinant des sites d’Angkor. A l’issue, ils repartent avec 30 caisses et 18 charrettes. Charles rapporte 150 moulages et plus de 500 clichés, qui émerveillent les responsables de l’Efeo.

A peine arrivé à Saigon, il repart avec Henri Parmentier pour une nouvelle expédition en Annam qui durera 9 mois. Nous sommes au début de l’année 1902. Prés de Phan Thiet, ils rencontrent le missionnaire Eugene Durand, lui aussi érudit de l’art Cham. Mieux que ca, il leur fait rencontrer une veille reine Cham. Celle-ci est prête à leur révéler le trésor des chams, caché dans le pays sauvage. Une expédition est aussitôt organisée pour rejoindre le lieu. Sur la route, on se déplace en palanquin le long des villages fortifiés pour se protéger des tigres. Et avant de pouvoir accéder au trésor, on organise des sacrifices pour les manes des rois chams.
Le trésor est enfin déballé : une grande quantité de vases en or et en argent, des armes en tout genre, des objets de culte, des vêtements colorés.. On imagine l’etat d’exaltation à la découverte de ce trésor, aussitôt mis à l’abris.

L’expédition remonte la cote vers le nord. En palanquin, à pied ou à l’aide des petits chevaux annamites. On ne peut avancer que la journée, courte en Indochine. Les éléphants sont aussi dangereux que les tigres, à leur manière : ils démolissent les poteaux télégraphique en fer, les ponts et les champs de cannes à sucre. Les deux compères arrivent finalement à Tourane (Danang aujourd’hui) ou ils se reposent une semaine dans un vrai hotel, qui offre de la glace à ses clients, un vrai luxe ! C’est l’ancien hotel Gassier, devenu Morin, et dont la destinée ira bien vite à Hué…


Déplacement en palanquin

Ils arrivent finalement à Dong Duong. Ils ne le savent pas encore, mais leurs fouilles vont se révéler être d’une exceptionnelle richesse. Au depart, seule une tour apparait. Tout autour, des édicules, des tas de briques et de terres qu’il va falloir dégager.
Ils sont aidés par 200 coolies qui préféreraient démolir plutôt que déblayer.. Ils relèvent avec 50 coolies un grand stupa, une pierre énorme. Puis ils mettent à jour un immense piédestal, piece maitresse du musée actuel de Danang. Charles écrit ; « Il est décoré de centaines de petits personnages, et rempli, à plusieurs mètres d’épaisseur, de cendres, très vraisemblablement humaines. Y aurait-il là-dessous quelques rois chams’? »


Le piédestal lors de sa découverte et aujourd’hui, au musee de Danang. La tète de la cavalière sur l’éléphant n’est plus présente

Arrive la saison des pluies : « Il règne ici à cette époque une humidité inouïe. Mon vérascope s’en ressent; tout moisit; mon revolver est sous la rouille, les champignons poussent sur le cuir, le buvard est une éponge, etc. ». Les typhons se joignent à la partie : « la nuit dernière, sérieux typhon qui a tout démoli. Notre cagna [cabane] n’a plus de paillotte (toit), et nous avons barboté toute la nuit dans l’eau. L’écurie est tombée sur la tète des chevaux ».

Ils mettent à jour « un véritable dépôt de sculptures: deux éléphants dont un en place, nombreux fragments de statues, de nagas et aussi un autre grand piédestal. ». Ils travaillent 15 heures par jour, passant d’une découverte à une autre..


Le chantier de Dong Duong

Fin 1902, ils repartent à Hanoi avec 28 caisses et des milliers de clichés à développer..

En mars 1903, Charles Carpeaux repart en Annam avec Henri Parmentier. Cette fois ci, cap sur My Son.

Le site est grand et il faut construire une palissade de 4 mètres de hauteur tout autour pour se protéger des tigres. Il écrit : « La nuit dernière, alerte. Grand vacarme chez les chevaux; je me précipite dans un très simple appareil, mon fusil d’une main et un photophore de l’autre. Je trouve mon cheval sur le dos, les jambes en l’air, et le nez sur le bas-flanc. J’ai eu du coton pour le relever et pendant ce temps-là, les moustiques soupaient joyeusement à mes dépens. ».. Quelques jours après, il écrit : « Nous avons été attaqués à 10 heures du soir par des milliers de fourmis qui, fuyant les orages, voulaient s’installer chez nous. D’où bataille homérique : l’ennemi, après une héroïque défense, s’est retiré décimé par nos feux de salve au pétrole et à l’eau bouillante ».


Cette forme à quatre bras du fils de Shiva et Parvati, à tête d’éléphant, est l’une des sculptures cham les plus sophistiquées. VII siècle. Musée de Danang. Le piédestal est resté sur place


Comparatif entre la sculpture lors de sa découverte et aujourd’hui, au musée de Danang…

Il faut dégager la zone de recherche. « Hier, nous avons mis le feu à la brousse autour des terres, et ce matin nous avons trouvé une énorme pierre inscrite qui était cachée sous des roseaux de 5 mètres, formant ici les prairies. Nous promettons dix cents aux coolies pour chaque fragment trouvé. Aussitôt, surgissent cent trente morceaux d’inscriptions de toutes tailles. »

Les fouilles marchent à merveille; les pieces découvertes sont nombreuses : sculptures, piédestal, statues, lingams..


Une tour avant son déblaiement


La meme tour après son déblaiement

Les coolies participent activement aux fouilles, mais, superstition oblige, font preuve de beaucoup de prévenances et d’interrogations:
« Quand nous donnons l’ordre d’enlever une pierre ou d’attaquer un monticule, les coolies [] font un discours à la pierre ou à la terre [],leur expliquant qu’ils les dérangent parce qu’ils y sont forcés. Une chose aussi les stupéfie : c’est que nous dépensions tant d’argent et de forces pour remuer la terre. Les uns croient que nous cherchons les trésors chams, et que nous sommes guidés par les stèles inscrites que nous dégageons. Les autres disent que nous venons rétablir les monuments. Mais tous ont grand peur que nous ne ramenions les Chams dans leurs
anciens domaines. Ceci est très curieux, et tend à prouver la puissance autrefois considérable des Chams, en cette partie de l’Annam. »

Les locaux ne s’interessent pas aux « vieilles pierres ». Mais l’action de l’EFEO est essentielle pour mettre à l’abri ces oeuvres qui commencent à attirer des convoitises de la part des occidentaux. Le plus connu d’entre eux sera André Malraux, arrêté pour trafic d’oeuvres d’art à Angkor en 1922…

Les découvertes s’enchainent : « Mercredi dernier, j’aperçois au ras du sol lavé par les pluies un disque que je retourne; un premier dégagement au coupe coupe laisse voir une sorte de goulot s’adaptant au disque; et, après une heure de fouilles délicatement opérées, nous mettons à jour un vase en terre en forme de jarre. Or, ce vase contenait un véritable trésor pour des archéologues, toute la parure en or avec pierres précieuses d’une idole chame : mokata, un gorgerin, un collier, une ceinture, des bracelets pour le haut et l’extrémité des bras, deux paires de boucles d’oreilles [] . Il y avait encore deux assiettes en argent et deux lingots d’or montés sur cuve en argent. Tu vois d’ici ma joie ! »


Le trésor de My Son lors de sa découverte

Les scorpions sont de la partie :« Dufour a été piqué au pied par un scorpion. A 5 heures du matin, réveillés par ses appels, nous nous précipitons et trouvons dans son lit la bestiole, nous la zigouillons sans pitié, puis nous pansons la blessure. ». L’architecte Dufour sera finalement sauvé, grace aux soins prodigués à l’hopital.


Un skanda sur un paon, 10eme siècles, lors de sa découverte et aujourd’hui, musée de Danang

La petite équipe rentre à Saigon après 1 an de fouilles exceptionnelles. Carpeaux repart presque aussitôt à Angkor rejoindre son collègue et ami Dufour, nous sommes alors en mars 1904. Il s’agit de continuer les travaux menés au Bayon, en dégageant les fameuses tètes qui font la gloire du monument encore aujourd’hui.

Mais Charles se sent faiblir, harassé de 30 mois de fouilles presque ininterrompues. Il finit par demander un congé de convalescence et repart en bateau le long du lac Tonlé Sap. Il admire la péche « miraculeuse » et se fait photographier avec un immense pélican qu’il vient de chasser.. Ce seront ses dernières photos..


Charles Carpeaux admiratif devant un pelican qu’il vient de tirer (source EFEO)

A Saigon, il doit se faire hospitaliser. Son état empire, bien qu’il tienne des propos rassurant à sa mère pour ne pas l’inquiéter. Le 29 juin 1904, il décéde « d’un brusque accès de dysenterie, sur un organisme déjà miné par une anémie paludéenne très avancée ». Le chef des travaux pratiques de l’EFEO n’avait que 34 ans.

Que reste-t-il de son dur labeur? A sa mort, il a laissé plus de deux mille clichés admirables, de nombreux plans, croquis, estampages qui ont permis de mieux connaitre les Chams. L’EFEO continue d’honorer sa mémoire. Les découvertes faites à Dong Duong et My Son sont en bonne place dans le musée Cham de Danang, l’ancien musée Henri Parmentier ouvert en 1919. Le sanctuaire My Son continue d’etre un haut lieu touristique. La ville de Valenciennes, berceau de la famille Carpeaux, a organisé une exposition sur lui en 2019-2020.

Que sa mémoire soit honorée !


Monument dressé par l’EFEO devant le temple du Bayon, sur le site d’Angkor (source EFEO)

Sources:
– livre « Les ruines d’Angkor, de Duong-Duong et de Myson (Cambodge et Annam) : lettres, journal de route et clichés photographiques », publié par sa mère, sur Gallica
– site photographique de l’EFEO, ou l’on retrouve notamment le résultat de toutes les fouilles, https://collection.efeo.fr/