Catégorie «Indochine»

Redécouverte d’un cimetière français à Hué-Thuan An

Alors que nous allions en moto à la plage, ma femme s’est soudainement exclamée « chéri, il y a une tombe française ! ». Ma passion pour l’histoire n’a pas échappée à ma femme mais il a fallu quand même un gros coup de chance pour distinguer ce qui reste d’un cimetière français!

Après recherche, il s’agit bien d’un ossuaire ou reposent depuis près d’un siècle les restes de presque 400 de nos compatriotes, essentiellement des militaires ayant participé à la conquête de l’Annam et du Tonkin.


La stele à la mémoire des Français, de nos jours

Mais pour en comprendre l’origine, il est nécessaire de se replonger dans l’histoire.

Aujourd’hui Thuan An est un gros bourg bordé de plages magnifiques ou vont se presser chaque été les gens de Hué et quelques touristes.

On imagine mal que cet endroit fut le centre névralgique des troupes françaises en 1883 et 1900.

Avant 1883, Thuan An n’était qu’un simple village de pécheurs, planté de nombreux cocotiers. On y trouvait quelques forts de défense et le « bain du roi », lieu de villégiature royale. C’était surtout une position stratégique car le seul accès de la ville impériale par la mer, l’endroit par lequel tout devait passer. L’impossibilité pour les bateaux de mer d’accéder à la rivière, en raison d’une barre, en faisait un verrou naturel, situé à une quinzaine de km de la capitale.

L’origine de la présence française à Thuan An date de la prise des forts le 23 aout 1883 par l’escadre de l’amiral Courbet, après un copieux bombardement (raconté en son temps par P. Loti). L’Annam et le Tonkin sont alors en plein trouble suite au décès sans héritier du roi Tu Duc. L’attaque de Courbet a pour but de ramener la Cour à la raison et d’obtenir un accord de protectorat avec la France. La prise de Thuan An a conduit aussitôt à l’installation des français sur place, une présence amplifiée par l’arrivée de troupes du Tonkin en 1885 avec le Général de Courcy. Point déterminant pour la sécurité des français, un télégraphe y fut installé, grâce au câble anglais qui allait jusqu’à Singapour.


Les infrastructures à Thuan An en 1885 (bavh 1920)

Le “coup de force » contre les français en juillet 1885, la fuite du roi et la période de troubles qui suivit aboutirent à l’arrivée à Thuan An de nombreuses troupes en renfort venues de la métropole. Ce fut alors une véritable gare maritime, ou transitaient des milliers d’hommes. On y construisit des dépôts, des casernements et autres bureaux en tout genre. Mais c’est surtout les bâtiments du service de santé qui prirent une importance considérable. Thuan An était le seul endroit ou se trouvait un hôpital ainsi que de vastes pavillons de repos. L’épuisement des hommes partis combattre les pirates au Tonkin, le paludisme, les maladies endémiques et surtout le cholera amena à Thuan An un grand nombre de malades. On créa aussi sur place le premier cimetière français de Hué. Il se remplit très vite, au moins jusque fin 1889, date à laquelle les troubles cessèrent suite à la capture de l’ex-empereur Ham Nghi. Celui-ci fut d’ailleurs maintenu prisonnier à Thuan An en attendant son embarquement sur un bateau à destination de l’Algérie, son lieu d’exil décidé par les français.

La présence militaire de Thuan An déclina ensuite progressivement. Malgré tout, pendant la belle saison, tous les bateaux des Messageries Maritimes et les bateaux de transport locaux faisaient escale au large, débarquant passagers, courrier et marchandises. Mais en 1897, survint un violent typhon qui ferma la passe et en ouvrit une autre un peu plus loin. Les paysages en furent passablement modifiés. L’hôpital de Thuan An fut définitivement évacué en 1900 et le cimetière un peu oublié.


L’emplacement des passes, avant et après les typhons, Bavh 1920

Les tombes étaient au nombre de plusieurs centaines. On y trouvait de nombreux soldats, des officiers, des fonctionnaires de diverses administrations et même plusieurs femmes, épouses d’officiers ou de fonctionnaires. En 1900, devant l’avancé de la mer sur les dunes, on s’inquiéta de la possible désintégration du cimetière. Il est décidé alors d’exhumer les corps de ces pionniers de la présence française en Annam vers une fosse commune prés du « fort du sud », une ancienne fortification annamite.

Apres l’étude du Docteur Duvigneau, c’est le docteur Marque qui aura la responsabilité de ce transfert. La tache n’est pas si simple, car la présence parmi les défunts de nombreux cholériques imposent des règles de prudence draconienne pour éviter une nouvelle épidémie. Le transfert aura lieu entre le 18 au 29 avril 1901.

Le transport des ossements a lieu par bateau, le long de la lagune. On peut lire « Au fur et à mesure que les ossements étaient découverts, on les plaçait dans des caisses, avec addition de chaux, et on les transportait au nouveau cimetière, situé au Fort-du-Sud, où une fosse commune de 10 mètres de long, 3 mètres de large et 3 mètres de profondeur, avait été creusée ; les ossements étaient jetés dans la fosse, et, tous les soirs, couverts de sable et arrosés d’une solution de sulfate de fer. »


Carte du transfert des ossements, bavh 1920

A l’issue du transfert, tous les objets en contact potentiel des ossements sont brulés, y compris le sampan utilisé.

392 cadavres ont été exhumés, ou plutôt les ossements, et tous ont été déposés dans la fosse commune. Trois autres fosses spéciales ont été creusées, l’une pour une femme (Mme Meunier), et les autres pour le vice résident de la province (M.Michel) et un inspecteur de la Garde Indigene (M. de Soulages).

Que reste t il aujourd’hui de ce lieu de mémoire ?

Les accès à la plage de Thuan An se sont construits et ce lieu de mémoire se trouve aujourd’hui au milieu de maisons diverses. Mais l’emplacement de la fosse principale est toujours visible et plus ou moins dégagé. La stèle cubique est toujours en place et on peut y lire « A la mémoire des Français décédés à Thuan-An, 1883-1899 ».


L’ossuaire, de nos jours

Deux autres stèles y sont présentes. L’une est celle d’un militaire, « E.S. Contesse, Chef de Bataillon décédé le 2 novembre 1889 ». L’autre est celle d’A. Gelas-Sauvaire. Je n’ai pas retrouvé d’information sur ces français.


Stéle de E.S Contesse

Maintenant que ce cimetière a été retrouvé, reste à savoir comment on peut honorer à nouveau la mémoire de ces français. La question mérite réflexion !

Avec celui de Thuan An, d’autres cimetières ont été ouverts à Hué. Deux autour de la citadelle, pour les militaires, dont celui du Mang Ca. Et celui de Phu Cam, ouvert en 1904, pour les civils. Les tombes des militaires ont été rapatriées en métropole au départ des français, même si des éléments du cimetière du Mang Ca sont encore visibles de nos jours. Quant à celui de Phu Cam, près de la cathédrale du même nom, les tombes ont été transférées à la périphérie de la ville en 2006.


Vue du ciel du fort du Nord, en bas à gauche de l’image (partie ronde), occupé par les militaires vietnamiens. Porte traditionnelle coté ville. Source google earth.

Sources :
Les bulletins des Amis du Vieux Hue restent une formidable source pour qui s’intéresse à l’histoire de Hué. Notons les numéros utilisés pour cet article :
Sur les cimetières de Hue, 1929/3, 1914/3 et 1916/4
Sur Thuan An, 1920/3, écrit par H Bogaert, colon célèbre à Hué et qui vécut à Thuan An à cette époque là.

Les rédemptionnistes à Hué

Quand on voit ces photos prises du ciel, on ne peut qu’être fier d’avoir un tel chef d’œuvre à Hué ! C’est une église de style asiatique et occidentale sans équivalent au Vietnam..

On doit cette église à l’architecte Nguyen My Loc, diplômé de l’école des Beaux Arts d’Indochine qui est ensuite allé en France pour obtenir son diplôme dplg. De retour au Vietnam, il travaille à priori dans le sud Vietnam mais on ne connait pas bien ses oeuvres. Il enseignera ensuite à Saigon puis, après 1975, quittera le Viêtnam pour la France.

Nguyen My Loc a le mérite d’avoir créer un projet imprégné d’identité nationale. A ma connaissance, seules l’église de Phat Diem (Père Six comme architecte) et l’église Cua Bac à Hanoi (architecte Ernest Hebrard) sont comparables dans leur originalité.

La construction a démarré en mars 1959 et l’église a été consacrée en avril 1962. La maitrise d’œuvre a été assurée par les rédemptionnistes eux même, grâce au frère Bui Van Khac, autodidacte, aidé de 150 ouvriers.
La hauteur de l’ouvrage est de 53 mètres avec un triple clocher octogonal dont la structure métallique a été fourni par la société Eiffel.
La nef est longue de 70 mètres, large de 37 mètres et haute de 32m à l’intérieur. L’édifice fait de béton et de granit offre une nef élancée sans colonne, qui offre une luminosité exceptionnelle. L’ouverture sur l’extérieur de la nef renforce l’impression d’une église ouverte à tous.
4 cloches sont activées par un système « electro magnétique », avec un angelus, le tout ayant été réalisé par la célèbre fonderie Paccard à Annecy. A l’origine, il existait aussi un carillon qui sonnait tous les jours à midi. L’horloge extérieure est Suisse mais hélas ne fonctionne plus.

Si la décoration intérieure est sobre, on remarquera quand même un autel long de 3.6m fait d’un seul tenant avec du marbre de Danang. La sacristie est vaste et ferait rêver plus d’un prêtre en France ! A l’intérieur, on y retrouve un reliquaire contenant les restes de Saint Joseph Le Dang Thi, un soldat au service du roi Tu Duc et qui fut victime de la persécution en 1860. Il a été canonisé en 1988 par Jean Paul II.

La période de 1955 à 1963 correspond à l’âge d’or du catholicisme au Vietnam car c’est l’époque de la présidence de Ngo Dinh Diem, catholique convaincu et originaire de Hué. Son frère, Ngo Dinh Thuc est d’ailleurs archevêque à Hué et lancera la construction de la cathédrale Phu Cam en 1963. Elle est située à quelques centaines de mètres de l’église des rédemptionnistes.

En 1968, lors de l’offensive du Têt, l’église n’a pas souffert sauf les vitraux. Depuis, l’église n’a pas subi de réparations majeures. Les tuiles qui brillent sur la photo ont été changées en 2013.

Bref historique de la congrégation à Hué

Il est intéressant de se replonger dans l’histoire même des rédemptionnistes, dont l’implantation au Vietnam a démarré à Hué en 1925. Les rédemptionnistes sont un ordre d’origine italienne. La branche vietnamienne provient de la province canadienne mais francophone de Sainte Anne de Beaupré, établie la bas en 1911.

L’objectif de Rome était d’accélérer l’édification d’un clergé vietnamien autonome et indépendant du colonisateur français. Hué, capitale royale, a donc été préférée à Hanoi, comme le sera plus tard la résidence du délégué apostolique du Vatican.

Ce sont donc 3 missionnaires canadiens qui débarquent en 1925. Ils sont bien accueillis par Mgr Allys, l’évêque français, mais ils doivent partir de zéro et sans soutien financier local car l’Annam est pauvre. Le choix d’implantation se porte sur un terrain à Hué même, non loin du palais-hors-citadelle que s’est fait construite l’empereur Khai Dinh (palais An dinh). A cette époque, ce coté ci de la ville n’est que rizières, dont le riz parfumé est réservé à la cour royale.

Quelques temps après, c’est un noviciat puis un juvénat qui sont construits pour accueillir les futurs recrus.

L’important pour les rédemptionnistes est de se mêler à la population locale. Ainsi, en 1929, est créé l’Accueil, bâtiment qui existe toujours sur le coté de l’église. Ce lieu servira de salle polyvalente, propre à organiser des pièces de théâtres, des conférences, des rencontres avec les habitants mais aussi avec l’élite locale, famille royale et haut mandarins. Attenante à la grande salle se trouvait une bibliothèque ouverte à tous et disposant d’ouvrages variés en différentes langues. L’Accueil était autrefois le seul centre culturel de l’ancienne capitale de Hué.

Les Pères enseignent aussi l’anglais, pas si courant à cette époque. Un foyer est créé pour servir de pensionnat pour les lycéens habitants en dehors de la ville. Ce sont aussi les rédemptionnistes qui vont introduire le scoutisme au Vietnam avec la création en 1931 des premières troupes multiconfessionnelles à Hué.

(AP Photo/Horst Faas)

Survol de l’église en 1962, photo internet (AP Photo/Horst Faas)

Les rédemptionnistes sont aussi très proches du centre marial de Lavang, à 50km au nord de Hué. C’est un peu le Lourdes du centre Viêtnam. Les pèlerins peuvent loger chez les Pères, ce qui est toujours le cas aujourd’hui.

Toutes ces actions créent des mouvements de sympathies en leur faveur et augmentent les conversions et ordinations. Il est clair que l’indépendance des rédemptionnistes par rapport au pouvoir colonial plait à un grand nombre.


On distingue bien sur cette photo les bâtiments de l’Acceuil à gauche. En haut à droite de la photo, la maison coloniale existe toujours, c’est devenu un commissariat de police (photo internet)

Cette indépendance leur servira de plus en plus au fur et à mesure des événements qui vont émailler le Vietnam dans les années qui suivirent. Le coup de force des japonais le 9 mars 1945 épargnera les Pères rédemptionnistes même s’ils sont consignés à demeure. Un peu plus tard, le Vietminh les laissera aussi à peu prêt tranquille. Les Pères en profitent pour accueillir dans leur église des centaines de refugiés. Les plus connus seront la reine Nam Phuong et ses enfants qui resteront la quelques jours avant d’être exfiltrés par les français. Ce sera peut être le dernier symbole de séduction des élites vietnamiennes locales car l’abdication de l’empereur Bao Dai quelques mois plus tôt a mis à mal toutes les démarches en leurs faveurs.


Le reliquaire de Saint Joseph Le Dang Thi

Le changement d’époque et d’environnement ne figent pas les Pères de Hué qui regardent sur le long terme. Et chose étonnante, ils vont se lancer dans une exploitation forestière en défrichant une grande étendue vers le col des nuages. Le bois servira à réparer la ligne de chemin de fer endommagée durant la guerre. Ensuite, sur les parcelles défrichées, ils planteront des arbres fruitiers. L’âge d’or de cette plantation sera en 1951/1952.

Apres 1945, les rédemptoristes vietnamiens prennent progressivement la relève et les pères canadiens doivent les préparer à l’autonomie.

Dans les faits, la guerre d’Indochine se durcit de plus en plus.. le juvénat de Hanoi fusionne avec celui de Hué puis se déportera vers le cap saint jacques / Vung Tau en 1956.

La nouvelle église de Hué se construit ensuite. En 1964, la province rédemptionnistes du Vietnam est inaugurée, signifiant une indépendance par rapport à la maison du canada. D’autres missions sont créés à cette époque, notamment sur les haut plateaux.

Jusqu’en 1965, les rédemptionnistes pratiquaient la flagellation, y compris à Hué! Vatican 2 a eu raison de cette pratique..

Lors de l’offensive du Têt en 1967, les réceptionnistes accueillent à nouveaux des refugiés dans l’église. Ils seront plus de 7000 pendant 1 mois.

En 1975, les missionnaires canadiens sont expulsés. Les installations non liées directement à la congrégation sont saisies. L’ancien juvénat est devenu un orphelinat puis un jardin d’enfants, suivant ainsi les possibilités offertes par l’état aux congrégations. L’Accueil été réquisitionnée pour devenir la Maison culturelle de la jeunesse de la ville de Hue (87 Nguyen Hue).


la sacristie (photo prise en 2012 avec l’autorisation du Père Phuc)

En 2020, on peut lire sur le site des rédemptionnistes que le Vietnam compte 26 communautés avec 360 confrères, 239 prêtres, 7 diacres de transition, 94 étudiants profès, 20 frères, 12 novices, 35 postulants et 80 aspirants.

Principale source sur l’histoire de la congrégation au Vietnam:
Thèse de ÉRIC VINCENT, LA MISSION DES RÉDEMPTORISTES CANADIENS-FRANÇAIS AU VIETNAM ENTRE 1925 ET 1975, 143 pages
https://archipel.uqam.ca/4501/1/M12348.pdf

Sur l’architecture (en vietnamien):
‘https://www.tapchikientruc.com.vn/chuyen-muc/kien-truc-nha-tho-dong-chua-cuu-the-thanh-pho-hue.html

Vues aériennes extraites de la video PK Media sur youtube:
‘https://www.youtube.com/watch?v=4Go4xxKsBdY

Grâce à Albert Kahn, l’Indochine en couleur !

Depuis 2022, les images en couleur de l’Indochine des « Archives de la Planète » sont en ligne! On connaissait quelques unes de ces images à travers des ouvrages papiers ou des expositions, mais la mise en ligne de toute la collection est extraordinaire. Pas moins de 1393 images et 29 petits films concernent l’Indochine !


Pousse pousse local avec roues en caoutchouc, un luxe! On trouve encore les fleurs en arrière-plan.. rien n’a changé, ou si peu!


Flamboyant dans une rue paisible de Hanoi à l’heure de la sieste..

Rappelons qu’il s’agit des images prises par l’officier Français Léon Busy entre 1914 et 1917, photographe ayant mis son talent au service du banquier Albert Kahn. Celui-ci finance le projet de prendre en photo « la planète » en utilisant les meilleurs procédés techniques de l’époque, à savoir les autochromes. Ceux-ci, inventés par les Frères Lumières, sont commercialisés à partir de 1907 et permettent d’obtenir de très belles photos sur plaques de verre. C’est lourd, fragile et cher, et donc rare. Un trésor inestimable et on sait gré au département des Hauts de France d’avoir numérisé toutes ces images. Pas moins de 69.000 photos et films, prises entre 1907 et 1931 dans 50 pays sont à présent disponibles en ligne !

Léon Busy reste donc en Indochine le temps de la 1ere guerre mondiale. Il nous offre des clichés magnifiques sur le Tonkin, à travers des scènes urbaines ou rurales. On remarquera la beauté des flamboyants, des tenues colorées des habitants et mandarins, les pousse-pousse, l’architecture locale.. On est juste un peu déçu qu’il ne soit pas venu à Hué!

Pour accéder aux collections, suivez le lien : https://collections.albert-kahn.hauts-de-seine.fr/simple-recherche?q=

Bon visionnage !


Objets votifs à Ha noi


La famille de SE Hoang Trong Phu, le mandarin le plus puissant du Tonkin

Apothéose pour les artistes indochinois!

Quelle agréable surprise de découvrir la couverture de la Gazette de Drouot (1) avec un gros plan sur un tableau de Mai Thu ! Cela résume bien l’extraordinaire succès des peintres indochinois, au milieu desquels Mai Thu brille de mille feux ! Et dans le numéro suivant, pas moins de 17 insertions relatives à Mai Thu, à travers de nombreuses ventes en France. Avec, comme témoin de son immense succès, des prix qui donnent le vertige.

Cette reconnaissance, que certains diront tardive, est bien justifiée : des portraits sensuels d’enfants et de jeunes vietnamiennes en ao dai, une peinture principalement sur soie avec des nuances de couleurs estompées. Des compositions simples mais o combien harmonieuses.


Tableau de Mai Thu, vendu à Hong Kong par Sotheby’s en 2021, « Femme au Chapeau Conique le Long de la Rivière des Parfums »


Autre peinture de Mai Thu mis en vente en décembre 2023 (Artcurial), peint vers 1950, encre et gouache sur soie. Résultat de la vente: 367.000 euros!

Rappelons que Mai Thu faisait partie de la première promotion de l’école des beaux arts de Hanoi, fondée en 1925. A l’époque, 300 candidats se sont présentés au concours qui s’est déroulé a Hanoi, Saigon, Hue et Phnom Penh. La plupart sont des fils de « bonnes familles », des hauts mandarins ou des lettres. Au final, 10 candidats seulement ont été pris (2) et ont suivi une scolarité de 3 ans. A l’issue, faute de débouchés, ils occuperont des postes de professeurs, comme Mai Thu à Hué pendant 6 ans. Certains partiront en France et.. y resteront ! Mais ils ne renieront jamais leur patrie et continueront de magnifier la beauté de leur pays natal.


Photo des étudiants de l’école des Beaux Arts, avec notamment Georges Khanh, Vu Cao Dam et, au milieu, me semble-t-il, Mai Thu… (source internet)

L’exposition de 2021 consacrée à Mai Thu à Chalon sur Saône a renforcé l’aura de cet artiste. C’est loin d’être terminé, car on nous parle d’une exposition fin 2024 au musée Cernuschi à Paris, réunissant à nouveaux les 3 amis, Le Pho, Mai-Thu et Vu Cao Dam. Et sans doute aussi Le Thi Huu, l’une des rares femmes de l’école des beaux arts, qui partie aussi en France avec le trio précédent. Ce sera à nouveau un grand moment pour la peinture vietnamienne.

(1) Gazette de Drouot du 16 novembre 2023
(2) liste des lauréats, 13 novembre 1925, l’Echo Annamite

La stupéfiante histoire du sceau de Bao Dai, suite et fin !

En écrivant mon article en juillet 2022 (1), je ne pensais pas être si prêt de la fin de l’histoire !


Le fameux sceau coulé par Ming Manh, 10,7 kilos d’or pur..

Une histoire un peu compliquée et pleine de rebondissements. Je concluais mon article en disant que le sceau devait toujours être en possession de la famille de la dernière épouse de Bao Dai, Monique Baudot, morte en 2021.

On aurait pu espérer que ce sceau soit restitué au Vietnam, Bao Dai n’ayant été que le dépositaire d’un objet royal. Mais non, pas du tout.. Le sceau fut mis en vente en novembre 2022 par les ayants droits auprès de la maison d’enchères Million à Paris, et cela a fait beaucoup de bruit ici.
Il faut dire que l’estimation de la valeur était de 2 à 3 millions d’euros, car le sceau est en or pur, pas moins de 10,7 kilos ! Les représentants de la famille royale se sont émues de cette vente et ont même écrit à Emmanuel Macron. Comment imaginer en effet qu’un trésor national puisse aller ailleurs qu’au Vietnam ? La vente a été suspendue puis un accord non public a été signé entre le vendeur et les représentants du Vietnam.


Rétrocession du sceau et de l’épée à Bao Dai en 1952 par les Français, à Dalat.

On saura après coup que l’acheteur n’était pas le Vietnam, mais un vietnamien qui possède ici son propre musée privée(2). Il habite Bac Ninh et vient de récupérer des mains d’un représentant de la maison Million le sceau tant convoité. Il était entouré d’officiels vietnamiens et du représentant de l’Unesco au Vietnam.


L’acquereur du sceau et sa femme, de Bac Ninh

Le sceau est donc revenu au Vietnam, certes pas encore dans un musée public, mais on s’en rapproche ! Espérons revoir ce joyaux revenir aussi à Hué.

(1) https://blogparishue.fr/la-stupefiante-histoire-du-sabre-et-du-sceau-de-bao-dai-dernier-empereur/
(2) Musée Royal Nam Hong, Bac Ninh

Source photos = article de Quy van Le sur Facebook, page « Hue on Focus »

La Grande Guerre et le Monument aux morts de Hué

Beaucoup de touristes passent devant l’ancien monument aux morts sans savoir à quoi il correspondait autrefois. C’est bien dommage car ce monument, restauré en 2017, est vraiment un trait d’union entre le Vietnam et la France.


L’ancien monument aux morts sert de decors pour le festival de Hué

En Indochine, 1.309 Français civils furent mobilisés ainsi que 6.000 officiers et hommes de troupe de l’armée active. Mais ce sont surtout les 92.418 Annamites qui formèrent le plus gros des effectifs pour soutenir les efforts de la mère patrie face à l’invasion allemande. Officiellement, ils furent tous volontaires. L’esprit de curiosité des vietnamiens pour découvrir à quoi ressemblait la France, la possibilité de gagner quelques sous et des médailles, les poussa en effet à s’engager.
70% d’entre eux furent employés à des postes non combattants, dans les usines d’armement notamment. On ne lit que de bons commentaires à leur égard. La mortalité au combat ne fut pas plus élevée que pour les autres combattants. Mais ce sont principalement la tuberculose, la grippe espagnole, les naufrages en mer qui furent à l’origine des décès. On estime que 1500 d’entre eux sont morts pour la France.

Dès la fin de la guerre, on pensa à ériger un monument aux morts à Hué. Le style devait être local, et c’est suite à un concours que le projet de l’artiste Ton That Sa fut choisi.


L’inauguration du monument en 1920 (source Asso. Amis du Vieux Hué)

Il s’agit donc d’un immense écran de maçonnerie, entouré de 2 pylônes traditionnels. Sur l’écran lui-même, on retrouve tous les éléments décoratifs habituels : le caractère Tho pour affirmer l’immortalité des héros, les symboles des saisons, les attributs des mandarins civils et militaires. A l’origine, il y avait 2 cartouches, l’une comportait le nom des 31 morts français, tous habitants de Hué ou de l’Annam, et, du coté de la rivière, une sélection de 78 noms d’annamites. Aujourd’hui, si les noms français ne sont plus visibles, il est plaisant de voir que le badigeon mis sur les noms annamites est fréquemment « gratté » pour laisser entrevoir les noms d’origine…


Les Français d’Annam morts pendant la grande guerre

On choisit de placer ce monument aux morts devant l’entrée de l’école Khai Dinh (aujourd’hui Quoc Hoc), qui fut depuis toujours une école d’élite, pour que les élèves n’oublient pas les méfaits de la guerre ni leur héros.

Le monument fut inauguré le 23 Septembre 1920, en présence du roi Khai Dinh. En 1922, le Maréchal Joffre est venu s’incliner devant le monument lors d’une tournée asiatique.

Aujourd’hui, si le monument existe encore, il n’a plus la fonction de monument aux morts. On parle de lui comme d’un « écran » pour protéger l’entrée du lycée, suivant la culture locale. Il sert aussi de décors et d’arrière scène pour les festivals et autres spectacles. Tous les jours, des centaines de jeunes vont et viennent autour de ce monument pour jouer au badminton et se relaxer..

Mais cet article est en réalité un prétexte pour introduire un texte d’une beauté magnifique « Lettres de Guerre d’un Annamite », publie en 1924 par Jean Marquet, un spécialiste de la culture locale.

Il s’agit de lettres écrites par un paysan annamite qui s’engage pour aller découvrir le pays de ces « diables de français ». Il écrit ces lettres depuis son départ jusqu’à son retour au pays. Le style est charmant, drôle, et tout à fait représentatif de la pensée locale. Il découvre ainsi avec étonnement les chameaux le long du canal de suez et l’absence de rizières, la ville de Marseille et ses quartiers de prostitués, la surprise de ne voir aucun bambou, la mécanisation extraordinaire du pays, le dévouement des infirmières, le fait que riche ou pauvre, chacun travaille dur.. autant de choses forts différentes de son pays !..

Il finit tous ses courriers par une mention « cette lettre ne dit pas tout » et c’est un peu la même phrase que je pourrais écrire à la fin de mes articles !!

Ces 17 pages sont un pur bonheur pour ceux qui connaissent déjà un peu la culture vietnamienne et je vous invite vraiment à les découvrir.
Bonne lecture !

LettresAnnamitePdtlaGuerreJeanMarquet.pdf

Sources:
– texte de Jean Marquet, gallica,
– article sur le monument, BAVH 1937-4