La prise de Hué par les français en 1885 a amené, comme dans toutes les conquêtes, des pillages et des glissements de fortunes, appauvrissant les vieilles familles princières et mandarinales. Et fait sortir des objets d’art du pays. Les ventes aux enchères organisées en France au début du XX siècle témoignaient avec tristesse de cet exode. C’est par ce constat que les Amis du Vieux Hué, association fondée en 1913, ont eu l’idée de créer un musée.
Progressivement, l’idée fit son chemin et plusieurs objectifs sont apparus. D’abord mettre à l’abri ce qui pouvait encore l’être, comme les objets Cham présents dans les campagnes environnantes.

Le musée, vue des jardins
Ensuite, conserver et mettre sous les yeux de tous, plus particulièrement sous les yeux des artisans et des artistes annamites, les plus beaux spécimens de l’art du passé. La conquête avait entrainé une baisse de la qualité des objets produits, car les français, qui restaient les principaux acheteurs, n’y connaissaient rien. L’idée de Pierre Pasquier, alors résident supérieur de l’Annam, était de créer dans le futur une école d’art à Hué. D’autres objets n’étaient plus produits, comme par exemple les fameux bleus de Hué, fabriqués sur place par des chinois qui retournèrent dans leur pays en 1885, sans avoir livré leurs secrets de fabrication..
Une autre raison, et pas la moindre, était de redonner aux Huéens la fierté des objets produits localement et le gout des belles choses. Il fallait également un lieu pour abriter tous les dons reçus, notamment des colons sur le départ ou des héritiers de ceux-ci. Les débuts du tourisme impliquaient d’avoir aussi un endroit ouvert à tous et pas seulement aux initiés.. Enfin, il était nécessaire d’avoir en réserve des objets d’exceptions susceptibles d’être envoyés en France lors d’exposition coloniales, comme ce fut le cas en 1922 et 1931.

Couverture du bulletin des Amis du Vieux Hue paru en 1929
Avant même d’avoir un musée, des initiatives intéressantes se sont matérialisées.
En 1918, on eut l’idée de demander en prêts des objets détenus par les hauts mandarins et les membres de la famille royale pour les exhiber lors d’une grande exposition public. Ainsi « Autels, bahuts, tables, bancs, chaises, lits, armoires, coffres à roulettes, écritoires, écrans, paravents, étagères, chevalets, supports, toilettes, jardinières, etc furent mis en bonne place, après une toilette que nécessitait parfois leur vétusté et quelquefois hélas leur état d’abandon! ». L’exposition eut un succès considérable.
La même année, on organisa un concours pour récompenser « la construction d’une porte élégante, d’un style Annamite du meilleur goût. On décida que le bureau adresserait au propriétaire une lettre « pour le féliciter d’être resté dans la bonne tradition artistique purement annamite ». L’influence française générait en effet des objets d’un gout douteux sur toutes les créations…
Si l’idée d’un musée était acquise, encore fallait il un écrin pour cadre. Grace au soutien de l’empereur Khai Dinh, on décida de l’aménager dans un palais de la citadelle, l’ancien palais Long An. On disait à l’époque que c’était le plus beau de la cité interdite. Il fut construit en 1845 par le roi Thieu Tri pour lui servir de temple de culte à sa mort. Finalement, son culte fut transféré dans un autre palais et le bâtiment fut déplacé en 1909 à son emplacement actuel. A l’intérieur, des incrustations de nacre, des motifs sculptés sur ivoire, des dorures et des sentences en vers composées par Thieu Tri lui-même (en caractères chinois).

Coupe longitudinale du palais Long An, qui sert à présent de musée (paru dans le BAVH en 1929)
Ainsi naquit le musée qui ouvrit ses portes en 1923. On lui donna le nom de « Musée Khai Dinh », l’empereur régnant qui fut aussi féru d’art et de modernisme. Je ne parlerai pas des collections dont la richesse s’est accrue grâce aux achats faits localement, aux dons et du soutien de toutes les provinces du centre vietnam.
En revanche, le devoir de mémoire implique de se souvenir des principaux acteurs de la création du musée : le Père Cadière, fondateur de l’Association des Amis du Vieux Hué, le conservateur Peysonneaux, le haut mandarin Nguyen Dinh Hué, le médecin militaire Albert Sallet, et Messieurs Jabouille, Levadoux, Sogny et Gras. Sans oublier le futur gouverneur général de l’Indochine, Pierre Pasquier.
Et nous voici donc venus 100 ans après. On peut être fier de voir que malgré plusieurs décennies de guerre, le musée existe toujours dans son écrin d’origine (en partie refait quand même) et que les collections sont toujours la. Quelle émotion de voir dans les vitrines certains objets présents à l’origine du musée !

Fête pour les 100 ans du musée, avec, à gauche, la dynamique directrice du musée, Anh Van
Les vietnamiens ont continué brillamment l’œuvre démarrée un siècle plus tôt. Le musée s’appelle dorénavant le musée des antiquités royales. Il est situé non loin de la sortie de la citadelle, utile pour les touristes. La ruelle pour rejoindre le musée est bordée de flamboyants dont la floraison entre mai et juillet enchante le lieu.
Grace au dynamisme de la direction des Monuments Historiques de Hué et de la directrice du musée, Hyunh Thi Anh Van, des expositions sont régulièrement organisées pour exhiber une partie des réserves, 11.000 objets ! Un pavillon dédié à l’art Cham a été ajouté il y a quelques années, tandis qu’un nouveau pavillon a été inauguré l’année dernière pour célébrer l’empereur résistant Ham Nghi (1885), qui fut artiste peintre durant son exil.

Détail d’une tenue royale, brodée de fils d’or
L’exposition organisée pour les 100 ans du musée est aussi digne d’intérêt. On y voit des sceaux royaux en or, et des « livres » d’état civil des empereurs, dont les pages et les « boucles » du classeur sont aussi en or… Un catalogue magnifique a été édité pour l’occasion.
Il est prévu à l’avenir d’agrandir le musée, afin d’augmenter la collection présentée au public.

Des visites de classe, avec des enfants en ao dai! (source: site internet du musée)
On souhaite longue vie au musée !
Sources:
– article du Monde Colonial Illustré, paru en 1927

– bulletin des amis du vieux hué, 1929,
– article paru dans la Revue de l’histoire des colonies francaises, rédigé par L. Cadiere en 1925, pdf 3,6megas,
Revue_de_lhistoire_des_colonies_10ansduBAVH.pdf