La mosquée indienne de Hué

Pour les quelques Huéens que nous avons interrogés, il s’agit d’un temple hindou.. Mais ce n’est pas un temple, c’est une mosquée construite par et pour des indiens musulmans. Elle est tellement discrète et bien cachée qu’il m’a fallu plusieurs années à Hué pour apprendre son existence. Etonnamment, même Tim Doling n’en parle pas dans son guide pourtant très exhaustif (1) et c’est un petit plan sommaire de la ville, distribué dans quelques hôtels de la ville, qui indique son emplacement !

Elle se situe dans une étroite ruelle au niveau du 120 de la rue Chi Lang, située dans le quartier Gia Hoi, autrefois la partie commerciale de la ville occupée principalement par les chinois.

Grace aux informations collectées aux archives des colonies à Aix en Provence (2), on sait que cette mosquée a été construite en 1921 à la demande des musulmans locaux, une communauté de 35 personnes. La demande de permis de construire a été formulée par des sujets britanniques. Ces musulmans étaient probablement originaires de la région de Madras, au sud de l’inde. On sait en effet que la plupart des musulmans indiens présents en Indochine provenaient de cette région. Ils ont érigé des mosquées non seulement à Saigon, Hanoï et donc hué, mais aussi à Mytho et Tra Vinh. Ils parlaient le Tamoul.

Dans un livre sur Hué, on estime la communauté indienne en 1905 à 10 individus seulement. Les chinois sont estimés la meme année à 450 personnes. La ville à l’époque avait 60.000 habitants.

Dans l’annuaire de l’Indochine de 1925, deux commerces indiens sont signalés à Hué :
KASSIMSSAH, mercerie et divers, rue Paul-Bert.
MOUGAMADOU ISSOUMESAH, marchand d’étoffes, rue Paul-Bert.
La rue Paul Bert est la rue actuelle Trang Hung Dao, et c’était la « nouvelle » rue commerçante de la ville, face au marché Dong Ba.

12 ans plus tard, toujours dans l’annuaire de l’Indochine, on note trace de 2 commerçants indiens:
AVE-MOHAMED ISSOUP, Tissus en gros et demi-gros, au 143 rue Paul Bert et toujours Issoumessah. Ces 2 commerçants font partis de la centaine de personnes ayant le téléphone à cette époque à Hué. On peut donc en déduire que ces indiens étaient des commerçants importants de la ville. Dans un autre ouvrage, on indique que les indiens de Hué faisaient toujours venir leur marchandise de Tourane. Le tissus provenait de Singapour ou de Bombay.

Et quand on interroge les « anciens » de Hué, on nous parle toujours tissus. Ces indiens vendaient des tissus aux motifs uniques, des soieries introuvables ailleurs et toujours à des prix très raisonnables. Près de la mosquée, on nous a parlé aussi d’un vendeur d’épices et de curry. Les indiens de Hué ont-ils fait souche ? on n’a trouvé aucune famille d’origine indienne à Hué. La plupart des indiens sont partis sous la période Diem (1955—1963) et en 1975 pour les derniers. Les restaurants indiens actuels sont des implantations récentes.


La porte du lieu de culte

Sur l’unique carte postale trouvée sur les indiens de Hué, sans doute prise dans les années 20, on voit plutôt un commerce d’objets en argent.

Mais revenons à notre mosquée. A l’époque, le terrain allait jusqu’à la rivière. Apres 1975, les terrains ont été cédés à de nouveaux habitants. Quant à la mosquée elle-même, elle a été vendue à une famille de fonctionnaire qui la possède toujours, mais ne l’habite plus.


On distingue le mihrab, niche creusée dans le mur pour indiquer la Mecque.

Il faut dire que la surface n’est pas très grande, à peine 100 m2 tout compris et pas plus de 50m2 pour les parties habitables. On note de nombreuses colonnes et arches. A l’intérieur, on retrouve toujours le mihrab qui indique la direction de la Mecque. En revanche, pas de trace du bassin pour les ablutions. Pas vraiment non plus de minaret. Le carrelage est superbe, on le retrouve dans de nombreuses constructions de ces années là.

Les photos ont été prises en 2020 ou nous avons eu la chance de pénétrer à l’intérieur sans pour autant rencontrer le propriétaire. La propriété s’est assez dégradée depuis.

(1) Exploring Hue, Tim Doling, disponible au Vietnam
(2) Merci au groupe de recherches mené par Caroline Herbelin pour ses précieuses informations

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *