Il y a 120 ans, le typhon qui détruisit la ville de Hué

Le cataclysme qui est survenu hier au nord Vietnam (typhon Yagi) nous rappelle que les typhons sont nombreux et violents au Vietnam.

A 120 ans d’intervalle jour pour jour, Hué connaissait aussi son typhon le plus violent de son histoire récente. C’était le dimanche 11 Septembre 1904.

Grace à la presse disponible sur Gallica, on peut se replonger dans ce qui fut un effroyable cataclysme naturel. Que cet article soit un hommage à tous ceux qui, à l’époque, ont tout perdu. Qu’il soit aussi là pour nous rappeler que les changements climatiques ne feront que renforcer la puissance destructive de la nature.

Un cataclysme inattendu

La semaine se terminait pourtant bien. La ville venait de passer plusieurs jours à célébrer le cinquantenaire de la reine mère, l’impératrice Hoang Thai Hau, mère de l’empereur Thanh Thai. Plusieurs cérémonies festives avaient eu lieu dans la citadelle avec de nombreux dignitaires, français et indochinois, venus des quatre coins du pays.

En 1904, Hué est la capitale de l’Annam, mais sous la direction des français. Ceux-ci règnent en réalité en maitre depuis 1885, après la signature forcé d’un traité de protectorat puis le « guet- apens de Hué ». La ville ne doit pas compter plus de 40.000 âmes dont quelques centaines de français, essentiellement des militaires et quelques fonctionnaires.

A cette époque de l’année, on est à la fin de l’été et les récoltes de riz sont imminentes. Le mois de Septembre est un mois de transition, avant la saison des pluies.

La pluie commence à tomber peu avant la nuit du samedi au dimanche. Personne ne s’attend à un typhon. Très vite, les inondations se forment. La situation empire le lendemain pour se transformer en cataclysme entre midi et 16h. Quatre heures de cauchemar qui vont aboutir à un désastre jamais égalé depuis 1855, date du dernier typhon dévastateur.

La ville est méconnaissable, tous les arbres sont à terre, toutes les maisons annamites sont détruites, tous les bâtiments en brique sont endommagés. Seuls quelques édifices à terrasse sont épargnés.
Le nouveau pont de fer, voulu et inauguré par Paul Doumer en 1900 voit 4 de ses 6 travées retournées et gisants au fond de la rivière des Parfums. Chacune des travées, d’une longueur de 65 mètres, pesaient 150 tonnes. Cela n’aura pas suffit à le maintenir. C’est d’ailleurs tout un symbole qui s’écroule : n’avait on pas dit que le pont serait en place aussi longtemps que les français en Indochine…
Le toit du fameux pont couvert de Thanh Toan, pourtant équipé d’un toit local très lourd, a lui aussi valsé.


Les ateliers Bogaert (lire mon article dédié) donnent une bonne idée des dégâts

Il faudra plusieurs jours pour évaluer les dégâts. A Hué et dans sa région périphérique on compte plus de 3000 morts, 22.000 maisons détruites, 529 bateaux coulés. Dans la ville, c’est encore prés de 700 toits envolés. Les vrais chiffres sont certainement bien supérieurs. Les inondations ont aussi tout balayé sur leur passage, dévastant les rizières, tuant des milliers de tête de bétail. Les sampaniers ont souvent vu leur bateau couler, provoquant de fait la perte de leur maison et leur outil de travail.


Le casernement des Français dans la citadelle

Les vietnamiens sont hagards, ne sachant pas ou aller, n’ayant plus rien à manger ni endroit pour vivre.
Les quelques français ont fui leur habitation et se sont refugiés au cercle, l’un des rares bâtiments à terrasse ayant résisté. Même les casernes sont dévastées et le Résident Supérieure a vu le toit du bâtiment officiel de la France s’envoler. Il pleut aussi dans les chambres du premier hotel de Hué, appartenant à Alphonse Guerin, mais les bâtiments à terrasse, là encore, seront sauvés. Cet hotel deviendra peu de temps après le célèbre hotel Morin.


Le Résidence Supérieure de Hué, durement touchée

Par miracle, seul un français manquera à l’appel. C’est le Père Dangelzer, des Missions Etrangéres de Paris, vicaire général de la mission. Le mur du presbytère s’est écroulé sur lui à l’église de Kim Long. Il avait 65 ans. Sa tombe est dans l’enceinte du séminaire de Hué, avec les autres missionnaires.


Le Père Dangelzer (source Irfa)

Tous les fils télégraphiques sont à terre. Il n’y a que le câble nautique qui fonctionne. Mais quels secours espérer ?

Les journaux de Hanoi et Saigon commencent à parler du « désastre de l’Annam » le 15 septembre, soit 4 jours après le passage du typhon. Deux jours plus tard, un article titré « cruelle énigme » déplore l’absence de réactions du roi et des hauts mandarins : « Ou sont ces haut dignitaires indigènes si jaloux de leurs prérogatives, dont la main est dur pour le peuple ? Quelle preuve d’énergie, quelle assistance ont-ils apportée dans ces journées ou leur compatriotes, leurs monuments sacrés et historiques ont été atteints par le typhon ? L’article est signé « Noi Doi ».

Alfred Raquez (1) raconte le typhon dans « l’Avenir du Tonkin ».

Un correspondant du journal L’avenir du Tonkin, Alfred Raquez, se trouvait à Hué pour couvrir les célébrations du cinquantenaire. Il repart vers Tourane en sampan lorsqu’il subit de plein fouet l’ouragan. Son récit émouvant sera publié les jours suivants. Son histoire mérite d’être reprise.

Il part donc en pleine nuit avec pour objectif de rejoindre avant le lendemain soir Tourane (Danang) ou il doit prendre le bateau qui le ramènera à Hanoi. La distance est d’une centaine de kilomètres environ, par la mer ou la lagune. Lorsqu’il part en sampan, la pluie tombe non stop à Hué et des inondations se forment. Le lendemain matin, ils sont toujours dans le canal qui va vers la lagune. Vers 11h, ils doivent finalement stopper et se réfugier dans une maison communale (un dinh). Aussitôt déchargé, le sampan coule en raison des vagues et du vent.

Le dinh est le lieu le plus vaste et solide des alentours. Les habitants viennent s’y refugier. Il décrit la situation comme une scène d’enfer, les gens ont les yeux dilatés et se jettent à ses pieds, front contre terre, en implorant son aide, les mains jointes. Avec le sens du devoir, A. Raquez reprend les choses en main en leur offrant 2 bouteilles d’alcool sauvées de ses affaires. « je vous recommande l’absinthe pure en cas de typhon, amis lecteurs. Elle produit des effets merveilleux. Une heure après la distribution et malgré le redoublement de la tourmente, nos 152 protégés avaient presque oublié leur malheur et jacassaient [à nouveau]. »


Inondations à Hué, peut être celle de 1953 qui fut l’une des plus terribles du siècle

« Nous virent de beaux gestes. []. Pas un homme, si grelottant fut il, ne but une gorgée du réconfortant liquide avant d’avoir ranimé sa femme et ses enfants. Nous voyons l’un d’eux recueillir dans un gobelet les dernières gouttes de notre bouteille et les porter dans un coin du [dinh] à une jeune femme aux seins gonflés qui pleurait toutes les larmes de ses yeux. Il lui fit absorber jusqu’à la dernière goutte et revint à sa place, claquant des dents et grelotant lui-même, mais l’âme satisfaite. »

A. Raquez est un vrai aventurier. Il ne se déplace jamais sans sa « trousse alpine », une trousse qui comporte un baromètre, un thermomètre et une boussole. Il surveille la pression qui descend jusqu’à 722, alors que la normale est 760.

Le typhon finit par s’éloigner et la petite équipe reprend la route sur un nouveau sampan sauvé des eaux. Dans la lagune, des cadavres d’animaux en grand nombre. Des corps sans vie aussi. « Pour une fois, les batelières sont mornes et muettes ». Ils finissent par arriver le lendemain après midi à Cau Hai, qui est le chef lieu du district sur les bords de la lagune. La seule épicerie est tenue par un chinois qui leur vend quelques denrées à des prix astronomiques. « Il spécule sur notre faim atroce ».

De Cau Hai, la poursuite du trajet se fait en chaise à porteur. Mais il faut attendre le lendemain car le tigre se fait déjà entendre. La colline du col des nuages est infestée de tigres et on ne peut y accéder qu’en journée.

Le lendemain donc, il arrive à Tourane. La ville a échappé au désastre. Mais le bateau pour Hanoi a préféré rester sagement en amont du typhon. En revanche, il apprend le naufrage de La Tamise, le meilleur paquebot annexe du Tonkin, heureusement sans faire de victime. Mais cela n’avait rien à voir avec le typhon. Voyager en Indochine n’était pas une sinécure à cette époque !

Pourquoi le ciel s’est il abattu sur Hué ?

L’Annam est le pays des superstitions et chacun s’interroge sur les raisons d’une telle fureur du ciel. Les français sont surpris de voir que même de hauts mandarins et certains hauts responsables bouddhistes n’hésitent pas à colporter cette histoire folle : c’est l’attitude du roi Thanh Thai et le non respect des traditions par les français qui ont provoqué ce cataclysme. En effet, quelques jours avant, le roi avait organisé une réception au palais Canh Chanh, au sein de la citadelle interdite, à laquelle il invita, pour la 1ere fois de l’histoire de la dynastie, des femmes ! Et on vit le roi danser aux bras de ces occidentales, autre sacrilège ! Le peuple étant si superstitieux qu’une telle histoire pouvait provoquer une révolution.. Heureusement pour les français, ce ne fut pas pour cette fois ci.

Apres le typhon, il a fallu faire face à la famine, la misère de la population locale et à la reconstruction.
Le pont Thanh Thai est rétabli en 1907 pour un cout équivalent à sa construction initiale. Mais le plancher, en bois jusqu’alors, fut bétonné pour le rendre plus lourd.
Les toits en terrasse, qui avaient montré leur efficacité lors du typhon, ont été remis en question dans un article signe par E Gras dans le BAVH en 1919. Sans doute certains avaient déjà oublié le typhon de 1904 à cette époque !

Le dernier typhon qui a touché sérieusement Hué n’est pas si vieux. C’ était le 27 Septembre 2022, heureusement sans dégâts humains. Les typhons, qui surviennent en moyenne tous les 7 ans, arrivent des Philippines. Les moyens techniques actuels permettent au moins à la population de s’y préparer. Quant aux inondations, il y en a 1 ou 2 par an. La plus tragique fut celle de 1999 ou plusieurs centaines d’habitants moururent. Depuis, des barrages ont été mis en place sur la rivière de parfums et ses affluents. Les canalisations de la ville ont été aussi refaites.

(1) Alfred Raquez est très connu pour ses photos du Laos, publiées en cartes postales à cette époque.

Sources principales:
– Les numéros de l’Avenir du Tonkin du 15 au 26 Septembre 1904, sur Retronews,
– Hygiene de l’Indochine, 1908, Gallica
– Irfa, pour le Père Dangelzerd
– Le Monde Illustré pour les photographies d’époque, Gallica

C’est la rentrée !

Sans doute plus qu’ailleurs, la rentrée au Vietnam est une grande fête ! La première journée commence toujours par l’accueil des enfants, à travers une « grande messe » dans la cours de chaque école.


La rentrée à l’école Le Loi de Hué

Tous assis sur de petits tabourets, souvent au pied du mat qui porte le drapeau vietnamien, les enfants écoutent religieusement les bonnes paroles du proviseur et du corps professoral qui se succède à la tribune. On y parle de Ho Chi Minh, l’exemple à suivre pour toute la population. On notera notamment la fameuse phrase reprise sur la plupart des frontons des écoles « il faut 10 ans pour faire pousser un arbre, 100 ans pour instruire un homme ». La phase « bien apprendre, bien enseigner » est aussi reprise souvent.. La fierté d’être vietnamien fait partie des leitmotivs. On chante aussi en cœur l’hymne du Vietnam, on salue le drapeau.. Le tout est rythmé par des enfants qui frappent sur des tambours.
Après les discours, on a souvent droit à un petit spectacle, et la danse du dragon fait partie des grands classiques.

La décoration des écoles ce jours là est tout simplement magnifique, à l’aide de ballons gonflables, drapeaux, bouquets de fleurs offerts par les fournisseurs, lampions etc..

Tous les enfants sont en uniforme, l’uniforme standard étant le pantalon ou la jupe bleue foncé et la chemise blanche. Mais bien sur, le plus important, c’est le foulard rouge, symbole de la jeunesse vietnamienne. Les écoles qui disposent de moyens plus importantes peuvent choisir un uniforme différent. Les professeurs sont aussi bien habillés, le traditionnel ao dai pour les enseignantes et le costume cravate pour les hommes..


Les moyens ne manquent pas pour cette journée spéciale!

La cérémonie dure de 7h jusqu’à 8h30. Et le jour de la rentrée est facile à mémoriser, car c’est tous les ans la même date, le 5 septembre.

Pour parfaire la cérémonie, tout a fait l’objet d’une répétition la semaine précédente. Une sorte de pré-rentrée, ou les enfants balayent la cour, nettoient les parties communes, et répètent la cérémonie.. Rien n’est laissé au hasard au Vietnam !

A noter qu’au Vietnam, les classes sont à l’inverse de la numérotation française: on commence par la classe 1 et on finit par la classe 12, l’equivalent de la classe terminale.


Un gentil dragon (ou plutôt une licorne) qui sait plaire aux enfants!

Toutes les écoles n’ont pas les mêmes moyens. Car, au final, ce sont les parents qui payent. Les bonnes écoles dans les quartiers huppés ont donc plus de moyens. L’Etat ne finance que les salaires du personnel et les bâtiments. Mais quelque soit la situation, la rentrée scolaire reste un événement pour tous, et chacun y met du sien pour que la fête soit réussie.

Vietnam, la magie de la fabrication des carreaux de ciment !

A chaque fois que je vois ce process, je suis comme un enfant ! Comment les couleurs liquides peuvent, une fois posées, rester indépendantes les unes aux autres ? Un mystère qui, pour moi, s’apparente à chaque fois à un petit miracle !

J’avais déjà écrit un article sur ces carreaux en 2015 (1), mais cette fois ci, nous sommes allés plus loin dans la démarche : nous avons créé nos propres modèles ! Venant d’acheter une maison, nous avons décidé de refaire le carrelage avec nos propres dessins et couleurs..


Fabrication de nos carreaux

Vietnam oblige, rien de plus simple ici ! J’ai fourni un dessin très précis et les experts de l’atelier ont fait en quelques heures un moule. Tests, corrections, affinage des bords, le tout n’aura pris que quelques jours. La complexité du dessin ne semble pas leur faire peur.

Le choix des couleurs est plus difficile car la palette n’est pas complète. Les pigments disponibles sont réduits. Il y a de jolis verts, du carmin, des couleurs crèmes, abricot. Mais pas de couleurs vives, ni de jaunes ou de rouges. On doit donc faire preuve de créativité pour trouver harmonie et modernisme.

Une fois les tests concluants, on se lance dans la production. Les quantités donnent le tournis: 25 carreaux pour 1 mètre carré ! Il faut environ 3 minutes pour réaliser un carreau (voir la vidéo), plusieurs jours pour le séchage. Rappelons qu’il n’y a aucune cuisson, les carreaux sont mis en forme avec une presse hydraulique.

Il reste de nombreux ateliers de ce type au Vietnam, même si l’activité semble en déclin, les vietnamiens n’aimant que le clinquant. Le poids (1,2 kilos par carreau) favorise les ateliers de proximité. A Hué, on retrouve ces carreaux dans les restaurants branchés ou dans les hôtels de prestige. On les retrouve aussi dans la citadelle avec la reconstruction récente du palais Kien Trung. Avec une surface au sol de 600m2 sur 2 niveaux, j’ai calculé qu’il a fallu 30.000 carreaux, soit 1500 heures de travail !

Les carreaux en ciment ont été créés par les Français dans les années 1850. Introduits en Indochine, ils furent finalement fabriqués sur place. A Hué, la cimenterie Long Tho de monsieur Bogeart en faisait. Ce dernier a présenté de nombreux modèles lors de l’exposition de Marseille de 1906. Sur Gallica, on trouve le catalogue de la société des Tuileries de l’Indochine de 1928 (2). On retrouve encore les carreaux d’origine dans un excellent état dans les vieilles maisons d’exceptions. Des carreaux plus classiques se sont ensuite diffusés dans toutes les maisons vietnamiennes jusqu’à l’arrivée des carrelages industriels, il y a une trentaine d’années. L’atelier de Hué fournit les maisons locales depuis des générations.


Jolie couleur pour ces carreaux

Les couts de fabrications restent dérisoires ici. Cela depend bien sur de la complexité du dessin et du nombre de couleurs, mais il est rare de dépasser une centaine d’euros pour le moule et 1 euro par carreau fabriqué… Cerise sur le gateau, vous resterez propriétaire du moule!

Si vous passez par Hué, je peux vous faire visiter l’atelier. En tant que dessinateur, je peux aussi créer vos modèles et m’occuper du suivi de votre production.

(1): https://blogparishue.fr/carrelage-un-festival-de-couleurs-et-de-formes/
(2) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8553564?rk=21459;2#

Saison des flamboyants à Hué!

Mai et Juin sont les mois ou les flamboyants sont en fleur, tout comme les lotus.. Les bougainvilliers sont aussi magnifiques, mais la fleuraison dure plus longtemps… Voici quelques photos prises à Hué et ses environs..


Dans la rue Bui Thi Xuan…


Dans le quartier Phu Cam, dans la cour d’une ancienne école..


Le long du canal Phu Cam / An Cuu


Sur les berges de la rivière des parfums..


Un jeune flamboyant en plein vitalité..


Gros plan sur les fleurs..


Un bougainvilliers, le long de la cathédrale Phu Cam


Les lotus sont aussi un peu partout, le long de la citadelle ou au bord de la lagune, au nord de Hué


Collecte de lotus. On mange les graines, les tiges peuvent servir aussi comme fibre textile…

Redécouverte d’un cimetière français à Hué-Thuan An

Alors que nous allions en moto à la plage, ma femme s’est soudainement exclamée « chéri, il y a une tombe française ! ». Ma passion pour l’histoire n’a pas échappée à ma femme mais il a fallu quand même un gros coup de chance pour distinguer ce qui reste d’un cimetière français!

Après recherche, il s’agit bien d’un ossuaire ou reposent depuis près d’un siècle les restes de presque 400 de nos compatriotes, essentiellement des militaires ayant participé à la conquête de l’Annam et du Tonkin.


La stele à la mémoire des Français, de nos jours

Mais pour en comprendre l’origine, il est nécessaire de se replonger dans l’histoire.

Aujourd’hui Thuan An est un gros bourg bordé de plages magnifiques ou vont se presser chaque été les gens de Hué et quelques touristes.

On imagine mal que cet endroit fut le centre névralgique des troupes françaises en 1883 et 1900.

Avant 1883, Thuan An n’était qu’un simple village de pécheurs, planté de nombreux cocotiers. On y trouvait quelques forts de défense et le « bain du roi », lieu de villégiature royale. C’était surtout une position stratégique car le seul accès de la ville impériale par la mer, l’endroit par lequel tout devait passer. L’impossibilité pour les bateaux de mer d’accéder à la rivière, en raison d’une barre, en faisait un verrou naturel, situé à une quinzaine de km de la capitale.

L’origine de la présence française à Thuan An date de la prise des forts le 23 aout 1883 par l’escadre de l’amiral Courbet, après un copieux bombardement (raconté en son temps par P. Loti). L’Annam et le Tonkin sont alors en plein trouble suite au décès sans héritier du roi Tu Duc. L’attaque de Courbet a pour but de ramener la Cour à la raison et d’obtenir un accord de protectorat avec la France. La prise de Thuan An a conduit aussitôt à l’installation des français sur place, une présence amplifiée par l’arrivée de troupes du Tonkin en 1885 avec le Général de Courcy. Point déterminant pour la sécurité des français, un télégraphe y fut installé, grâce au câble anglais qui allait jusqu’à Singapour.


Les infrastructures à Thuan An en 1885 (bavh 1920)

Le “coup de force » contre les français en juillet 1885, la fuite du roi et la période de troubles qui suivit aboutirent à l’arrivée à Thuan An de nombreuses troupes en renfort venues de la métropole. Ce fut alors une véritable gare maritime, ou transitaient des milliers d’hommes. On y construisit des dépôts, des casernements et autres bureaux en tout genre. Mais c’est surtout les bâtiments du service de santé qui prirent une importance considérable. Thuan An était le seul endroit ou se trouvait un hôpital ainsi que de vastes pavillons de repos. L’épuisement des hommes partis combattre les pirates au Tonkin, le paludisme, les maladies endémiques et surtout le cholera amena à Thuan An un grand nombre de malades. On créa aussi sur place le premier cimetière français de Hué. Il se remplit très vite, au moins jusque fin 1889, date à laquelle les troubles cessèrent suite à la capture de l’ex-empereur Ham Nghi. Celui-ci fut d’ailleurs maintenu prisonnier à Thuan An en attendant son embarquement sur un bateau à destination de l’Algérie, son lieu d’exil décidé par les français.

La présence militaire de Thuan An déclina ensuite progressivement. Malgré tout, pendant la belle saison, tous les bateaux des Messageries Maritimes et les bateaux de transport locaux faisaient escale au large, débarquant passagers, courrier et marchandises. Mais en 1897, survint un violent typhon qui ferma la passe et en ouvrit une autre un peu plus loin. Les paysages en furent passablement modifiés. L’hôpital de Thuan An fut définitivement évacué en 1900 et le cimetière un peu oublié.


L’emplacement des passes, avant et après les typhons, Bavh 1920

Les tombes étaient au nombre de plusieurs centaines. On y trouvait de nombreux soldats, des officiers, des fonctionnaires de diverses administrations et même plusieurs femmes, épouses d’officiers ou de fonctionnaires. En 1900, devant l’avancé de la mer sur les dunes, on s’inquiéta de la possible désintégration du cimetière. Il est décidé alors d’exhumer les corps de ces pionniers de la présence française en Annam vers une fosse commune prés du « fort du sud », une ancienne fortification annamite.

Apres l’étude du Docteur Duvigneau, c’est le docteur Marque qui aura la responsabilité de ce transfert. La tache n’est pas si simple, car la présence parmi les défunts de nombreux cholériques imposent des règles de prudence draconienne pour éviter une nouvelle épidémie. Le transfert aura lieu entre le 18 au 29 avril 1901.

Le transport des ossements a lieu par bateau, le long de la lagune. On peut lire « Au fur et à mesure que les ossements étaient découverts, on les plaçait dans des caisses, avec addition de chaux, et on les transportait au nouveau cimetière, situé au Fort-du-Sud, où une fosse commune de 10 mètres de long, 3 mètres de large et 3 mètres de profondeur, avait été creusée ; les ossements étaient jetés dans la fosse, et, tous les soirs, couverts de sable et arrosés d’une solution de sulfate de fer. »


Carte du transfert des ossements, bavh 1920

A l’issue du transfert, tous les objets en contact potentiel des ossements sont brulés, y compris le sampan utilisé.

392 cadavres ont été exhumés, ou plutôt les ossements, et tous ont été déposés dans la fosse commune. Trois autres fosses spéciales ont été creusées, l’une pour une femme (Mme Meunier), et les autres pour le vice résident de la province (M.Michel) et un inspecteur de la Garde Indigene (M. de Soulages).

Que reste t il aujourd’hui de ce lieu de mémoire ?

Les accès à la plage de Thuan An se sont construits et ce lieu de mémoire se trouve aujourd’hui au milieu de maisons diverses. Mais l’emplacement de la fosse principale est toujours visible et plus ou moins dégagé. La stèle cubique est toujours en place et on peut y lire « A la mémoire des Français décédés à Thuan-An, 1883-1899 ».


L’ossuaire, de nos jours

Deux autres stèles y sont présentes. L’une est celle d’un militaire, « E.S. Contesse, Chef de Bataillon décédé le 2 novembre 1889 ». L’autre est celle d’A. Gelas-Sauvaire. Je n’ai pas retrouvé d’information sur ces français.


Stéle de E.S Contesse

Maintenant que ce cimetière a été retrouvé, reste à savoir comment on peut honorer à nouveau la mémoire de ces français. La question mérite réflexion !

Avec celui de Thuan An, d’autres cimetières ont été ouverts à Hué. Deux autour de la citadelle, pour les militaires, dont celui du Mang Ca. Et celui de Phu Cam, ouvert en 1904, pour les civils. Les tombes des militaires ont été rapatriées en métropole au départ des français, même si des éléments du cimetière du Mang Ca sont encore visibles de nos jours. Quant à celui de Phu Cam, près de la cathédrale du même nom, les tombes ont été transférées à la périphérie de la ville en 2006.


Vue du ciel du fort du Nord, en bas à gauche de l’image (partie ronde), occupé par les militaires vietnamiens. Porte traditionnelle coté ville. Source google earth.

Sources :
Les bulletins des Amis du Vieux Hue restent une formidable source pour qui s’intéresse à l’histoire de Hué. Notons les numéros utilisés pour cet article :
Sur les cimetières de Hue, 1929/3, 1914/3 et 1916/4
Sur Thuan An, 1920/3, écrit par H Bogaert, colon célèbre à Hué et qui vécut à Thuan An à cette époque là.

Immigration, qu’en est-il au Vietnam ?

Puisqu’on parle beaucoup d’immigration en France, voyons à quoi ressemble le Vietnam de ce coté là… Eh bien, si on devait résumer les droits des étrangers, on pourrait dire que les étrangers ont pour seul droit celui de… travailler ! Je ne parle pas des conjoints de vietnamiens ou des viet-kieu (vietnamiens partis a l’étranger) dont les droits sont différents. Je parle du cas général d’un étranger qui aimerait vivre ici. Le seul document qui puisse vous faire séjourner ici dans la durée est un permis de travail (ou investir plus de 120 keuros).


Le sésame pour vivre au vietnam: la carte de residence..

Le permis de travail s’obtient depuis l’étranger et c’est l’entreprise qui vous embauche qui va s’occuper des formalités. Et notamment prouver à l’administration que seul un étranger a les compétences pour occuper le poste. Le permis de travail est valable 2 ans maximum, renouvelable normalement une seule fois.
Il donne lieu à une carte de résidence d’une durée équivalente. Si vous quittez votre emploi, l’entreprise est tenue d’informer l’administration.
Tous les travaux ne sont pas ouverts aux étrangers. Le petit commerce, le marketing font partis des métiers non ouverts aux étrangers. Etre guide touristique sans un diplôme local en vietnamien est impossible. La barrière de la langue vous ferme aussi de nombreuses portes.

N’imaginer pas passer votre retraite ici ! Il n’existe pas de visa longue durée pour les retraités… Même les volontaires doivent obtenir un visa de travail spécifique pour œuvrer ici. Tout cela est bien contraignant et se résume d’une phrase : « le Vietnam aux Vietnamiens ».

Peut on tricher ? avant le covid peut etre, notamment dans les grandes villes comme Saigon. Mais le covid a été l’occasion pour le vietnam de mettre tous les étrangers en situation irrégulière dehors.

Les étrangers qui vivent au Vietnam subissent des règles non applicables pour les locaux. Par exemple, le fonctionnement bancaire est très contraignant pour les étrangers, sans doute pour lutter contre le travail au noir et le blanchiment, alors que les vietnamiens font ce qu’ils veulent. Concrètement, vous pourrez ouvrir un compte bancaire, mais il vous sera impossible de faire des dépôts depuis le Vietnam. Vos crédits proviennent soit des transferts depuis l’étranger, soit du règlement de votre salaire local. Impossible pour un vietnamien de vous faire un virement, dont l’usage ici est très répandu. Emprunter à sa banque est impossible. La liste est longue de ce qu’on pourrait assimiler à de la “discrimination”.

La terre appartenant aux vietnamiens, vous ne pouvez acheter du foncier. Seuls quelques condominiums sont accessibles aux étrangers, mais toujours dans des résidences onéreuses.

Peut-on alors acquérir la nationalité vietnamienne ? En théorie, c’est possible, même si on ne se bouscule pas au portillon pour l’acquérir.. il faut de toute façon parler vietnamien, ce qui n’est pas simple. Et le document officiel est signé en main propre par le premier ministre, signe que ce n’est pas très courant.

Il vaut mieux se tenir à carreau et respecter toutes les règles en vigueur ici, quelles soient formelles ou pas… dans le meilleur des cas, si votre attitude « déplait », votre visa ne sera pas renouvelé sans qu’on vous fournisse la moindre explication.. Dernièrement, des étrangers (dont un Français) ont été surpris en train de tagger des murs à Saigon. Ils ont eu le droit de nettoyer les murs salis, de payer une amende de 900 euros.. et d’etre expulsés!

Si vous avez des enfants, vous pouvez bien sur les mettre à l’école vietnamienne. Mais si vous choisissez de les mettre dans une école internationale, il vaut mieux gagner beaucoup d’argent car les couts sont exorbitants (>10000 euros par an). De même, les couts de santé peuvent être astronomiques car on est parfois forcer d’aller dans un hôpital international.

Quoiqu’il en soit, un étranger au Vietnam restera toujours un étranger. Que vous habitiez ici depuis 6 mois ou 10 ans, les prix seront toujours plus élevés pour vous, et pas seulement au marché.

Le résultat de tout ca, c’est le faible nombre d’étrangers résidants au vietnam. 140.000 étrangers avaient un permis de travail en 2023 au vietnam, pour une population de 100 millions. Soit 0.1% comparé au 8% d’étrangers en France ! La plupart des étrangers sont profs ou experts dans leur domaine d’activités. Le niveau de qualification ou d’expérience requis est plutôt haut. 90% sont des hommes. La tendance est a la hausse ces dernières années, en parallèle des nombreux investissements étrangers au vietnam.

Conséquences

De fait, la population est tres homogène ici, du nord au sud. Le manque de diversité est l’un des aspects qui me pèse le plus ici depuis que j’y habite. Le brassage de population, c’est un facteur d’enrichissement énorme d’un pays, comme le fameux melting pot aux USA. Etre en présence de diversités culturelles, c’est voir des choses différentes, c’est apprendre d’autres savoir-faires et donc, au final, s’enrichir mutuellement.

Je pense notamment au petit commerce qui, faute de remise en question, reste très traditionnel. L’absence de marketing ou de techniques de vente, que les vietnamiens ne maitrisent pas, sont un frein au progrès et conduisent à des erreurs de casting.. le turnover énorme des commerces peut venir de la..

Il n’y a pas non plus que dans les affaires que la monoculture rend les choses plus pauvres. Les influences culturelles étrangères permettraient aux vietnamiens de voir autre chose, de penser autrement.

A l’opposé, ce « vivre entre soi » permet de préserver une culture forte et très spécifique. C’est plus facile aussi de diriger un pays dans ces conditions là…

Un mariage avec un local peut il ouvrir davantage de droits ? Depuis quelques années, oui, car le conjoint est autorisé à travailler. Le visa de conjoint est de 5 ans, mais ce n’est pas si simple. Tous les 6 mois, vous devez aller au bureau de l’immigration pour obtenir le tampon-qui-va-bien. Mais ce n’est pas immédiat et vous devez amener les papiers d’identité de votre conjoint.. autant dire qu’il ne faut pas se fâcher avec lui, sous peine de devoir partir.. Pour ma part, je préfère avoir un permis de travail, ce qui permet de vivre normalement pendant 2 ans et entrer/ sortir du pays comme on veut.

Y a t’il du racisme au Vietnam?

Le nationalisme est très puissant au Vietnam, mais je n’ai jamais rencontré de racisme. Les gens considèrent les étrangers comme « riches », ce qui les aide surement à en avoir une opinion positive.. Pour les gens plus âgés, il y a souvent beaucoup de vrais sympathies pour les occidentaux, notamment Français, parfois avec une pointe d’admiration.