Voila un sujet que les touristes de culture occidentale ne soupçonnent pas quand ils visitent le vietnam : la prépondérance de la famille et la puissance parentale. Il faut vivre à proximité immédiate d’une famille asiatique pour s’en rendre compte.
Je ne parlerai dans cet article que de l’autorité parentale qui reste, à ce jour, extrêmement forte.
La soumission aux parents est le trait culturel le plus marqué au vietnam, comme dans tous les pays sinisés. La tradition confucéenne est au cœur de toutes les mentalités asiatique. Il faut se plonger dans le code Gia Long, au debut de la dynastie Nguyen (>1802), pour y comprendre les différences avec notre culture. Certes l’évolution de la société et de la loi a modifié bien des choses, mais les mentalités restent profondément ancrées dans ces principes immémoriaux. L’école continue de promouvoir les valeurs traditionnelles et, de fait, la société change peu.
Au Vietnam donc, on n’agit pas contre l’autorité parental. Jamais. Ce serait un manque de respect et une offense terrible.
Les vœux du Tet présentés au chef de famille
Le mariage
Par exemple, ce sont les parents qui valident ou non le mariage. Les raisons d’un refus peuvent émaner d’une différence de richesses entre les familles, de facteurs superstitieuses (incompatibilité liée aux dates de naissance ou aux signes astrologiques) ou simplement parce que les parents n’aiment pas le prétendant ou sa famille. Et dans ce cas, les enfants s’exécutent et se séparent ! L’amour est un critère apparu tardivement en Asie, et il ne se substitue pas complètement à la primauté de la famille.
Je me rappelle ma demande de mariage aux parents de ma femme. J’y étais allé la fleur au fusil, comme on pourrait le faire en occident. Simple formalité ? pas si sure.. Ma future femme était un peu tendue et écoutait la discussion sans intervenir. Certes, les étrangers ont plutôt bonne presse au Vietnam et il serait difficile d’empêcher un mariage. Mais les parents de futurs conjoints vietnamiens peuvent poser leurs conditions : rester vivre au vietnam, acheter une maison au préalable, vivre à proximité des parents etc.. Dans mon cas, j’ai du subir un interrogatoire auquel je n’étais pas préparé.. Heureusement tout s’est bien terminé.
La continuité de la famille, notamment pour assurer le culte des ancêtres, est fondamentale. La mariage n’a pas l’aura qu’il peut avoir en occident, avec d’abord une belle cérémonie civil à la mairie. Ici, pendant très longtemps, c’est resté du domaine du privé. De même, dans nos pays judéo chrétiens, on se marie pour la vie, qu’on ait ou pas des enfants. Ici, ce qui est important est d’avoir des enfants. Ainsi, il était possible de prendre une concubine, de répudier sa femme ou de divorcer en cas d’absence d’enfants, mais aussi d’adopter très facilement.
Pendant la guerre du Vietnam, les vietnamiens du nord qui s’infiltraient au Sud avaient le droit d’avoir une deuxième famille. Aujourd’hui encore, avoir une postérité est plus important que tout le reste. Les enfants ont les mêmes droits, même hors mariage.
Respect ou soumission ?
Dans les relations intra familiales en occident, on peut parler de respect et d’équilibre des droits et devoirs de chacun. Les enfants doivent respecter leurs parents et réciproquement.
En Asie, ce n’est pas si simple. A celui de respect, on lui substitue celui de soumission. Les enfants n’ont pas véritablement de droits. Et dans les faits ils ont surtout des devoirs.
Le code Gia long est très instructif sur ce plan. Il n’y a pas, par exemple, de majorité légale à laquelle les enfants peuvent s’émanciper. Toute leur vie et tant que les parents sont en vie, ils doivent se soumettre au bon vouloir des parents.
Aujourd’hui, les choses ont peu évolué. Dans une famille, les enfants peuvent pester devant les exigences des parents, mais aucun n’osera défier l’autorité parentale. Quand les parents (surtout le père) décident, les enfants exécutent. Quand on a 15 ans, on peut encore le comprendre, mais quand on a 50 ans ! Compte tenu du l’augmentation du niveau d’instruction, de la modernisation de la société et de l’allongement de la durée de vie, on peut facilement imaginer le supplice pour les enfants. Essayer d’imaginer un instant devoir obéir comme un petit enfant à des parents âgés de 90 ans !
Ce principe n’est pas remis en question dans la société, je le vois tous les jours dans ma famille. Mais cela conduit à des comportements d’évitements comme le mensonge et la dissimulation. Car il est facile d’imaginer que ce pouvoir exorbitant des parents peut aboutir à des abus de tout ordre. Pour les enfants, ce sera les servitudes ménagères. Pour les adolescents, ce sera le choix des études qui pourra leur être dicté. Pour les jeunes adultes, ce sera l’impossibilité de quitter le domicile parental avant le mariage. Plus tard, ce sera la disponibilité immédiate qu’il faudra offrir à ses parents à la moindre requête.
Le code Gia Long était très clair sur le sujet. Le premier devoir des enfants était d’aimer leurs parents. Cela devait être un renoncement de soi même et cela exigeait le sacrifice totale d’une vie ! On est loin de l’obligation toute platonique du droit français du respect et de l’honneur à apporter à ses parents !
Subvenir aux besoins de ses parents
Subvenir aux besoins de ses parents est aussi un trait culturel profondément ancré ici. Combien de fois ai-je entendu ces propos de la part d’étudiants : « je veux travailler pour aider financièrement mes parents ». Dans bien des familles, avoir des enfants est l’assurance d’avoir une bonne retraite. Envoyer de l’argent à ses parents n’est pas, comme on pourrait le croire en occident, une action volontaire, c’est une obligation. C’est, d’une certaine manière, rembourser tous les frais d’éducation supportés par les parents durant le jeune âge. Les plus critiques – ou lucides – disent qu’un enfant nait ici avec une énorme dette qu’il passera toute sa vie à rembourser…
Certes, l’amélioration des conditions de vie et la mise en place de pensions de retraite atténuent un peu ce coté peu attrayant de la culture locale. Mais je me souviendrais toujours de la pression exécrable de certains parents vis-à-vis de leurs enfants pendant les confinements du covid ou ceux-ci, privés d’emplois et donc de revenus, ne pouvaient plus envoyer d’argent.
Le fils ainé, des devoirs en plus
Le fils ainé a des responsabilités supplémentaires par rapport au reste de la fratrie. C’est lui qui devra s’occuper de ses parents, voire des grands parents, lors de leurs vieux jours. Ainsi on voit des gens en pleine réussite professionnelle, souvent loin de chez eux, qui doivent du jour au lendemain revenir à la maison familiale pour s’occuper de leurs ainés. Et ils reviennent avec femme et enfants, abandonnant souvent leur activité professionnelle antérieure pour se consacrer à 100% à leur devoir de fils ainé. La belle fille doit suivre et c’est à elle en général a qui revient les taches ménagères et la préparation des repas. On peut imaginer facilement quelle épreuve cela peut constituer ! Comme les gens vivent de plus en plus longtemps, cette période forcée d’inactivité sociale est de plus en plus difficile à vivre. Les confidences sont rares, mais les cas d’alcoolisme ou de dépression existent.
En compensation, le fils ainé hérite de la maison de ses parents et de quelques biens qui doivent financer le cout des cérémonies de culte après le décès des parents.
Tout cela est accepté par les enfants et jamais ils se plaindront en public ni même devant leurs parents. De fait, les parents peuvent ne pas se rendre compte de la souffrance de leurs enfants. C’est le règne du non-dit.
La seule évolution notable est le rôle de la femme et de la mère dans la société vietnamienne. Autrefois, la mère avait peu d’instruction et restait souvent en retrait. Aujourd’hui, c’est elle qui tien les cordons de la bourse, et gère efficacement tous les aspects de la vie familiale. De nos jours, les femmes sont modernes, travaillent souvent et s’occupent de l’éducation des enfants. Mais s’il faut prendre des décisions importantes, c’est quand même l’homme qui décidera.
Ainsi est la culture vietnamienne…
A lire aussi sur le sujet :
– La puissance paternelle dans le droit annamite, Ho Dac Diem,
– Le code Annamite, traduction d’Aubaret, sur Gallica