Ham Nghi, empereur exilé et artiste

Qui était donc Ham Nghi, empereur d’Annam qui n’a régné que quelques mois en 1885 ? Héros de la résistance nationale selon les vietnamiens ou dangereux révolutionnaire pour les français ? La parution d’un livre (1) sur lui permet d’en savoir un peu plus sur le personnage et de casser quelque peu le mythe.


Portrait du roi Ham Nghi, Wikipédia

On rappellera juste que le roi (2) Ham Nghi a été rendu responsable par les français d’avoir déclenché une attaque puis un soulèvement contre eux en 1885. Il avait alors 14 ans ! Capturé après 3 ans de fuite, le roi est aussitôt exilé à Alger ou il restera jusqu’à la fin de ses jours en 1944.
Amandine Dabat a eu accès à sa correspondance, ce qui permet de mieux comprendre l’état d’esprit de l’empereur déchu. A son arrivée en Algérie, il n’a rien perdu de sa haine contre les français. Il ne reniera jamais le régent qui l’a entrainé dans une pareille folie. Mais loin de sa patrie, sans famille ni amis, ne parlant pas le français, il n’a d’autres choix que de se résigner. Mais cette attitude va progressivement évoluer vers des sentiments meilleurs au fur et à mesure des amitiés qu’il va nouer et de la vie matérielle qu’on lui offre. Il peut notamment développer ses talents artistiques en toute liberté. Il se marie en 1904 avec une française avec qui il aura 3 enfants. Il mène une vie artistique et bourgeoise, emprunte de nostalgie et de tristesse, mais sans jamais aborder sa vie d’avant ni même esquisser le moindre propos politique. Sa vie sociale est riche et il noue de nombreuses amitiés sincères avec des hommes politiques, des artistes et l’aristocratie locale. Avec femme et enfants, il se rend fréquemment en métropole pour rendre visite à sa belle famille, pour des vacances au bord de la mer ou pour exposer ses toiles. Ses enfants recevront une éducation française et son fils deviendra même officier dans l’armée française, passant l’essentiel de sa vie militaire en Afrique du nord et luttant, on peut l’imaginer, contre les nationalistes locaux.. La pensée de Ham Nghi se trouve sans doute dans cette phrase souvent entendue par ses enfants: « Vous ne serez jamais de bons Annamites, alors soyez de bons français ».


Le Prince d’Annam, 1926, The Bancroft Library, photo extraite du livre d’A. Dabat

L’exploitation méthodique de son abondante correspondance fournit un luxe de détails sur nombre de ses relations. Tout porte à croire qu’il a fini par changer d’opinion sur la France.
Mais ce livre n’est pas une biographie. Ham Nghi n’a jamais voulu évoquer ses souvenirs, n’a jamais écrit ses mémoires. Les témoins de son histoire ne sont plus là pour en parler. Et que valent ses propos dans des courriers dont on sait qu’ils faisaient l’objet de surveillance ? C’est vrai que ses silences ont alimenté fantasmes et fascination. L‘ouvrage montre que « le Prince d’Annam », comme les français l’appelaient, n’avait pas l’envergure qu’on voulait lui faire porter.


Exposition consacrée à Ham Nghi en 2023, au musée des objets royaux de Hué.

Reste l’artiste et le talent de l’auteur est d’avoir retrouvé de nombreuses peintures, dessins et sculptures. Ham Nghi était vraiment doué, même si on peut regretter l’absence de portraits ou de scènes de vie. L’essentiel de ses peintures sont des paysages locaux dans le style classique, impressionniste ou nabis. Seule une partie des œuvres a été retrouvée, la plupart ayant disparu lors de l’incendie de la propriété d’Alger lors de troubles en 1964.
Ham Nghi repose aujourd’hui dans le cimetière de Thonac, en Dordogne, loin de son pays natal. Le gouvernement Vietnamien aimerait bien rapatrier sa sépulture à Hué, mais la famille semble s’y opposer. C’était pourtant le souhait de l’empereur.


Marcelle Laloe, la femme de Ham Nghi, et leurs 3 enfants. 1918. Photo extraite du livre d’A. Dabat, fonds Capek

La moralité de cet ouvrage est que si vous souhaitez laisser une trace précise de votre vie, il faut écrire vos souvenirs vous-même. Ne pas le faire vous expose soit à tomber dans l’oubli, soit à prendre le risque de voir votre vie dénaturée par d’autres. Si vous pensez que votre vie n’a pas été à la hauteur des attentes des autres, ne faites rien non plus, cela entretiendra pour l’éternité une certaine aura de mystère ..

Article dédié à la famille Laloe de Lille.

(1) : Ham Nghi, Empereur en Exil, artiste a Alger », Amandine Dabat, Sorbonne Université Presse, 2019, 544 pages. Livre présenté à Hue en décembre 2022. Amandine Dabat fait partie de la descendance de Ham Nghi.
(2) : j’emploie sans distinction le terme « roi » et « empereur »

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