Il y a 120 ans, le typhon qui détruisit la ville de Hué

Le cataclysme qui est survenu hier au nord Vietnam (typhon Yagi) nous rappelle que les typhons sont nombreux et violents au Vietnam.

A 120 ans d’intervalle jour pour jour, Hué connaissait aussi son typhon le plus violent de son histoire récente. C’était le dimanche 11 Septembre 1904.

Grace à la presse disponible sur Gallica, on peut se replonger dans ce qui fut un effroyable cataclysme naturel. Que cet article soit un hommage à tous ceux qui, à l’époque, ont tout perdu. Qu’il soit aussi là pour nous rappeler que les changements climatiques ne feront que renforcer la puissance destructive de la nature.

Un cataclysme inattendu

La semaine se terminait pourtant bien. La ville venait de passer plusieurs jours à célébrer le cinquantenaire de la reine mère, l’impératrice Hoang Thai Hau, mère de l’empereur Thanh Thai. Plusieurs cérémonies festives avaient eu lieu dans la citadelle avec de nombreux dignitaires, français et indochinois, venus des quatre coins du pays.

En 1904, Hué est la capitale de l’Annam, mais sous la direction des français. Ceux-ci règnent en réalité en maitre depuis 1885, après la signature forcé d’un traité de protectorat puis le « guet- apens de Hué ». La ville ne doit pas compter plus de 40.000 âmes dont quelques centaines de français, essentiellement des militaires et quelques fonctionnaires.

A cette époque de l’année, on est à la fin de l’été et les récoltes de riz sont imminentes. Le mois de Septembre est un mois de transition, avant la saison des pluies.

La pluie commence à tomber peu avant la nuit du samedi au dimanche. Personne ne s’attend à un typhon. Très vite, les inondations se forment. La situation empire le lendemain pour se transformer en cataclysme entre midi et 16h. Quatre heures de cauchemar qui vont aboutir à un désastre jamais égalé depuis 1855, date du dernier typhon dévastateur.

La ville est méconnaissable, tous les arbres sont à terre, toutes les maisons annamites sont détruites, tous les bâtiments en brique sont endommagés. Seuls quelques édifices à terrasse sont épargnés.
Le nouveau pont de fer, voulu et inauguré par Paul Doumer en 1900 voit 4 de ses 6 travées retournées et gisants au fond de la rivière des Parfums. Chacune des travées, d’une longueur de 65 mètres, pesaient 150 tonnes. Cela n’aura pas suffit à le maintenir. C’est d’ailleurs tout un symbole qui s’écroule : n’avait on pas dit que le pont serait en place aussi longtemps que les français en Indochine…
Le toit du fameux pont couvert de Thanh Toan, pourtant équipé d’un toit local très lourd, a lui aussi valsé.


Les ateliers Bogaert (lire mon article dédié) donnent une bonne idée des dégâts

Il faudra plusieurs jours pour évaluer les dégâts. A Hué et dans sa région périphérique on compte plus de 3000 morts, 22.000 maisons détruites, 529 bateaux coulés. Dans la ville, c’est encore prés de 700 toits envolés. Les vrais chiffres sont certainement bien supérieurs. Les inondations ont aussi tout balayé sur leur passage, dévastant les rizières, tuant des milliers de tête de bétail. Les sampaniers ont souvent vu leur bateau couler, provoquant de fait la perte de leur maison et leur outil de travail.


Le casernement des Français dans la citadelle

Les vietnamiens sont hagards, ne sachant pas ou aller, n’ayant plus rien à manger ni endroit pour vivre.
Les quelques français ont fui leur habitation et se sont refugiés au cercle, l’un des rares bâtiments à terrasse ayant résisté. Même les casernes sont dévastées et le Résident Supérieure a vu le toit du bâtiment officiel de la France s’envoler. Il pleut aussi dans les chambres du premier hotel de Hué, appartenant à Alphonse Guerin, mais les bâtiments à terrasse, là encore, seront sauvés. Cet hotel deviendra peu de temps après le célèbre hotel Morin.


Le Résidence Supérieure de Hué, durement touchée

Par miracle, seul un français manquera à l’appel. C’est le Père Dangelzer, des Missions Etrangéres de Paris, vicaire général de la mission. Le mur du presbytère s’est écroulé sur lui à l’église de Kim Long. Il avait 65 ans. Sa tombe est dans l’enceinte du séminaire de Hué, avec les autres missionnaires.


Le Père Dangelzer (source Irfa)

Tous les fils télégraphiques sont à terre. Il n’y a que le câble nautique qui fonctionne. Mais quels secours espérer ?

Les journaux de Hanoi et Saigon commencent à parler du « désastre de l’Annam » le 15 septembre, soit 4 jours après le passage du typhon. Deux jours plus tard, un article titré « cruelle énigme » déplore l’absence de réactions du roi et des hauts mandarins : « Ou sont ces haut dignitaires indigènes si jaloux de leurs prérogatives, dont la main est dur pour le peuple ? Quelle preuve d’énergie, quelle assistance ont-ils apportée dans ces journées ou leur compatriotes, leurs monuments sacrés et historiques ont été atteints par le typhon ? L’article est signé « Noi Doi ».

Alfred Raquez (1) raconte le typhon dans « l’Avenir du Tonkin ».

Un correspondant du journal L’avenir du Tonkin, Alfred Raquez, se trouvait à Hué pour couvrir les célébrations du cinquantenaire. Il repart vers Tourane en sampan lorsqu’il subit de plein fouet l’ouragan. Son récit émouvant sera publié les jours suivants. Son histoire mérite d’être reprise.

Il part donc en pleine nuit avec pour objectif de rejoindre avant le lendemain soir Tourane (Danang) ou il doit prendre le bateau qui le ramènera à Hanoi. La distance est d’une centaine de kilomètres environ, par la mer ou la lagune. Lorsqu’il part en sampan, la pluie tombe non stop à Hué et des inondations se forment. Le lendemain matin, ils sont toujours dans le canal qui va vers la lagune. Vers 11h, ils doivent finalement stopper et se réfugier dans une maison communale (un dinh). Aussitôt déchargé, le sampan coule en raison des vagues et du vent.

Le dinh est le lieu le plus vaste et solide des alentours. Les habitants viennent s’y refugier. Il décrit la situation comme une scène d’enfer, les gens ont les yeux dilatés et se jettent à ses pieds, front contre terre, en implorant son aide, les mains jointes. Avec le sens du devoir, A. Raquez reprend les choses en main en leur offrant 2 bouteilles d’alcool sauvées de ses affaires. « je vous recommande l’absinthe pure en cas de typhon, amis lecteurs. Elle produit des effets merveilleux. Une heure après la distribution et malgré le redoublement de la tourmente, nos 152 protégés avaient presque oublié leur malheur et jacassaient [à nouveau]. »


Inondations à Hué, peut être celle de 1953 qui fut l’une des plus terribles du siècle

« Nous virent de beaux gestes. []. Pas un homme, si grelottant fut il, ne but une gorgée du réconfortant liquide avant d’avoir ranimé sa femme et ses enfants. Nous voyons l’un d’eux recueillir dans un gobelet les dernières gouttes de notre bouteille et les porter dans un coin du [dinh] à une jeune femme aux seins gonflés qui pleurait toutes les larmes de ses yeux. Il lui fit absorber jusqu’à la dernière goutte et revint à sa place, claquant des dents et grelotant lui-même, mais l’âme satisfaite. »

A. Raquez est un vrai aventurier. Il ne se déplace jamais sans sa « trousse alpine », une trousse qui comporte un baromètre, un thermomètre et une boussole. Il surveille la pression qui descend jusqu’à 722, alors que la normale est 760.

Le typhon finit par s’éloigner et la petite équipe reprend la route sur un nouveau sampan sauvé des eaux. Dans la lagune, des cadavres d’animaux en grand nombre. Des corps sans vie aussi. « Pour une fois, les batelières sont mornes et muettes ». Ils finissent par arriver le lendemain après midi à Cau Hai, qui est le chef lieu du district sur les bords de la lagune. La seule épicerie est tenue par un chinois qui leur vend quelques denrées à des prix astronomiques. « Il spécule sur notre faim atroce ».

De Cau Hai, la poursuite du trajet se fait en chaise à porteur. Mais il faut attendre le lendemain car le tigre se fait déjà entendre. La colline du col des nuages est infestée de tigres et on ne peut y accéder qu’en journée.

Le lendemain donc, il arrive à Tourane. La ville a échappé au désastre. Mais le bateau pour Hanoi a préféré rester sagement en amont du typhon. En revanche, il apprend le naufrage de La Tamise, le meilleur paquebot annexe du Tonkin, heureusement sans faire de victime. Mais cela n’avait rien à voir avec le typhon. Voyager en Indochine n’était pas une sinécure à cette époque !

Pourquoi le ciel s’est il abattu sur Hué ?

L’Annam est le pays des superstitions et chacun s’interroge sur les raisons d’une telle fureur du ciel. Les français sont surpris de voir que même de hauts mandarins et certains hauts responsables bouddhistes n’hésitent pas à colporter cette histoire folle : c’est l’attitude du roi Thanh Thai et le non respect des traditions par les français qui ont provoqué ce cataclysme. En effet, quelques jours avant, le roi avait organisé une réception au palais Canh Chanh, au sein de la citadelle interdite, à laquelle il invita, pour la 1ere fois de l’histoire de la dynastie, des femmes ! Et on vit le roi danser aux bras de ces occidentales, autre sacrilège ! Le peuple étant si superstitieux qu’une telle histoire pouvait provoquer une révolution.. Heureusement pour les français, ce ne fut pas pour cette fois ci.

Apres le typhon, il a fallu faire face à la famine, la misère de la population locale et à la reconstruction.
Le pont Thanh Thai est rétabli en 1907 pour un cout équivalent à sa construction initiale. Mais le plancher, en bois jusqu’alors, fut bétonné pour le rendre plus lourd.
Les toits en terrasse, qui avaient montré leur efficacité lors du typhon, ont été remis en question dans un article signe par E Gras dans le BAVH en 1919. Sans doute certains avaient déjà oublié le typhon de 1904 à cette époque !

Le dernier typhon qui a touché sérieusement Hué n’est pas si vieux. C’ était le 27 Septembre 2022, heureusement sans dégâts humains. Les typhons, qui surviennent en moyenne tous les 7 ans, arrivent des Philippines. Les moyens techniques actuels permettent au moins à la population de s’y préparer. Quant aux inondations, il y en a 1 ou 2 par an. La plus tragique fut celle de 1999 ou plusieurs centaines d’habitants moururent. Depuis, des barrages ont été mis en place sur la rivière de parfums et ses affluents. Les canalisations de la ville ont été aussi refaites.

(1) Alfred Raquez est très connu pour ses photos du Laos, publiées en cartes postales à cette époque.

Sources principales:
– Les numéros de l’Avenir du Tonkin du 15 au 26 Septembre 1904, sur Retronews,
– Hygiene de l’Indochine, 1908, Gallica
– Irfa, pour le Père Dangelzerd
– Le Monde Illustré pour les photographies d’époque, Gallica

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