La cérémonie de l’inventaire des sceaux vue par F. de Croisset

L’exposition organisée pour célébrer les 100 ans du musée des antiquités royales présentent plusieurs sceaux et livres en or, dont certains sont en or pur, pesant plusieurs kilos! C’est l’occasion de s’arrêter sur ces objets d’exception, à travers un récit puisé dans la littérature coloniale.

En 1937, juste après la fête du Têt, l’écrivain Francis De Croisset a la chance d’assister à l’inventaire annuel des objets précieux de la Cour royal de Hué en compagnie du roi Bao Dai et de l’impératrice Nam Phuong, des plus hauts mandarins de la cours, du gouverneur général de l’Indochine et du résident supérieur de l’Annam. Il relate cet épisode dans son livre « la Cote de Jade ».


Quelques sceaux parmi ceux présentés lors de l’exposition

Avant de partir pour assister à cette cérémonie, son regard croise un tableau ou l’on voit des personnalités annamites et françaises procéder à la destruction d’un sceau imposant. Nous sommes en 1885. Il n’en comprend pas le sens tout de suite… (1)

« De nouveau la cité des flamboyants, les douves hérissées de lotus, le beau pont chinois et, après avoir contourné deux palais, nous voici devant un pavillon cornu où un jeune couple en robes de soie jaune nous attend : c’est l’empereur et l’impératrice.
Cette fois, pas d’éléphants, pas de gardes rouges, pas de mandarins diaprés. Personne, sauf les ministres.
Nous pénétrons dans une salle gardée où des serviteurs munis d’énormes clés, ouvrant des armoires et des coffres, en sortent de gros objets d’or, d’argent ou de jade. Tous sont surmontés d’un chameau agenouillé.
– Vous comprenez ? me demande Servaise [le fonctionnaire qui accompagne F. de Croisset],.
– Ah ! pas du tout.
– Ce sont les sceaux de la vieille Chine.
Pendant des siècles ils furent envoyés par les empereurs aux souverains de l’Annam et le chameau agenouillé est le symbole de la vassalité. Le tableau que vous avez vu chez le résident supérieur a été fait après la prise de Hué par nos troupes. Il commémore la délivrance de l’Annam et la destruction solennelle du sceau devant le résident supérieur.
– Et ceux-ci ? dis-je contemplant d’autres sceaux qui me paraissent plus modernes et que les valets sortent à présent d’autres armoires de sûreté. Ils sont bien jolis, d’ailleurs.
– Ce sont des cachets bénévoles, me répond Servaise. Les empereurs d’Annam étaient comme vous, ils trouvaient ces sceaux charmants. Ils en avaient l’habitude et vous savez, entre la tradition et l’habitude… Alors ils ont continué à en créer. Chaque roi a ses sceaux, ainsi que les reines. Celles-ci changent de sceaux, suivant les grades.
– Les reines ont des grades ?
– Bien entendu, comme en Chine. Ainsi, la mère de l’empereur on l’appelait autrefois mère de Bonté et de Perspicacité. Depuis l’avènement du jeune souverain, elle a été gratifiée de deux nouvelles appellations encore plus jolies et élogieuses.  »


Photo d’un sceau, extrait du catalogue de l’exposition


l’un des livres royaux, tout en or

« Les sceaux à peine sortis des armoires y rentrent trop vite à mon gré. Ils sont chaque fois d’une invention ingénieuse et, en dépit du motif toujours le même, infiniment variés.
– Vous allez voir maintenant les actes d’état civil, m’annonce Servaise.
Singuliers actes d’état civil ! Les feuillets, les boucles qui les relient, la couverture sur laquelle le dragon rituel est gravé, tout cela est en or massif. Quelques volumes sont énormes, d’autres assez minces.
Pareils en cela aux urnes dynastiques, aux gigantesques urnes de bronze ciselées qui sont l’une des curiosités du palais, certains de ces livres précieux relatent les événements marquants des règnes.
D’autres, sur d’épaisses feuilles d’or, enregistrent simplement des naissances et des décès. La postérité de l’empereur Minh-Mang doit être impressionnante, si j’en crois l’importance du livre.
– Cent cinquante enfants, me documente Servaise, dont quatre-vingt-sept garçons, sans parler des morts.
– Ah ça ! combien de femmes avait-il donc ?
– Oh ! astronomique…  »


Couverture de l’un des livres royaux

«Cependant l’empereur a sorti lui-même un in-folio d’une armoire. Il est tout pareil aux autres, la couverture d’or massif est gravée du même dragon, mais il me semble que le souverain manie le volume avec une tendresse singulière, et c’est en souriant que l’impératrice le contemple : c’est, en effet, le livre de leur postérité. Il n’y a encore qu’une seule feuille, celle du petit prince. Un instant, le jeune couple s’est regardé avec émotion. Puis l’empereur rend délicatement à l’un des porte-clés le livre où s’inscrit tout l’espoir de sa race. »

On en sait également un peu plus sur le nettoyage des sceaux, grace a un texte de Jean-Baptiste Saumont, « Sur les butes d’Annam : de Hanoï à Hué en automobile, les fêtes du Têt et du Conseil de gouvernement dans la capitale annamite », écrit en 1913:

« Les objets n’en sortent qu’une seule fois [par an] , quelques jours avant le Têt, à l’occasion de la cérémonie dite «du nettoyage des cachets ». Ce jour là les mandarins supérieurs de la Cour, en grand costume, brisent les scellés et portent les précieux objets sur les tables déposées dans la salle à cet effet. Ensuite, à l’aide de linges spéciaux, humectés d’une eau contenue dans les bassins en cuivre où baignent des feuilles odorantes et des fleurs, les mandarins eux-mêmes, avec toutes sortes de précautions, procèdent à leur nettoyage. « 

(1) A noter qu’il n’existe aucune photo de cet événement d’une importance capitale, tant pour l’Annam que pour les français qui auront, de fait, les mains libres pour établir leur protectorat. La destruction du sceau a eu lieu le 6 juin 1884

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *