La cotonnière de Nam Dinh

Tous les lycéens du Vietnam savent qu’à Nam Dinh, il y a une très importante usine textile « créée par les Français ». C’est devenu au fil des ans l’une des fiertés nationales, et une image de l’intérieur de l’usine est même reproduite sur les billets de 2.000 dongs.
En visitant Nam Dinh, difficille de ne pas voir cette usine. On a l’impression que la ville s’est construite autour ! En poussant quelques portes, nous avons eu la chance de découvrir un site étonnant, la maison du fondateur de l’usine, magnifiquement restaurée, et transformée depuis peu en musée privé.

Cette immense demeure est située juste à coté de l’usine (mais bien cachée et protégée !). Même les briques auraient été importées de France. Cette maison a échappé aux bombardements. Devant l’escalier monumental, on notera deux canons ayant probablement servi à la prise de la ville en 1883.


Il y a même une cave à vin derrière la maison.. sacrés Français !

Anthyme Dupré (1865-1940), propriétaire de cette maison, a créé l’usine de Nam Dinh en 1900. A cette époque, soit peu de temps après la conquéte du Tonkin, les Annamites consommaient beaucoup de « filés » (du fil) de l’étranger, des Indes anglaises notamment. L’obtention d’une hausse des droits de douane sur ces produits permit le lancement et le développement de cette activité en Indochine.

L’emplacement de Nam Dinh fut judicieusement choisi: population très nombreuse, main d’œuvre abondante et peu exigeante, des matières premières locales peu onéreuses, une tradition préexistante de tissage dans la région, des infrastructures en plein développement (routes, train, circulation fluviale..) mais aussi une proximité avec les mines de charbon de Campha. Les chaudières à vapeur et la production de l’énergie électrique exigent en effet chaque jour près de 40 tonnes de charbon (années 30). L’usine de Nam Dinh posséde sa propre fonderie, son appontement sur le canal, sa flottille de chaloupes et de chalands…


L’usine, à ses débuts

La Société Cotonnière du Tonkin se développe alors à une vitesse prodigieuse. Nam Dinh devient la capitale du textile, avec 3 fitatures de coton, 3 usines de tissages… On y produit du filé, du coton hydrophile, du tissu et même 1 million de couvertures en 1939 ! Avec une autre filature à Haiphong, la société fournit du fil à 120.000 tisserands traditionnels… Les produits tissés de métropole ne sont pas concurrencés, puisque 95% de la consommation locale sont encore importés en 1939. Des unités sont créées au Yunnan (Chine) et à Pnom Penh. Les usines de Nam Dinh fonctionnent 24h / 24.
La Cotonnière à Nam Dinh offre aussi la plus grosse concentration de salariés dans un même établissement en Indochine. Environ 14.000 salariés, dont une quarantaine de Français.

La réussite financière est éblouissante. En 1939, c’est la 4e société la plus profitable de l’Indochine (derrière la Banque de l’Indochine et deux plantations de caoutchouc). Pour un capital social de 5 millions de francs (non coté en Bourse), le bénéfice est de 52 millions en 1939. Les six administrateurs se réservent 7,5 millions pour eux, soit l’équivalent de la paie de 400 ouvriers par administrateur (d’après mes calculs..)

Que dire des conditions de travail ? En Indochine, il n’y a quasiment aucune législation sur le travail avant les années 1930. Auparavant, seul existait le livret de travail (bien pratique pour « pister » les salariés). En 1933, les enfants représentent un quart des effectifs. Le musée met en avant quelques documents représentatifs de cette époque : accident du travail (14 décés en 1938), augmentation des cadences sans contrepartie (crise de 1929), méconduite des contremaîtres francais qui frappent et licencient les ouvriers sans raison sérieuses (1936)… Les conditions de travail semblent s’être améliorées si l’on en croit les documents publiés par les Français au début des années 1950 : « locaux vastes et aérés, approvisionnés en eau potable et thé chaud, pourvus de W.-C. à fosses septiques, équipés de douches, infirmerie, avec assistance médicale gratuite ouverte à tout le personnel ainsi qu’un stade, gymnase, salle de lecture ». Une retraite est servie après vingt-cinq ans de travail…


Dénonciation des agissements d’un contremaître français par des ouvriers en 1936

Un échec, cependant, c’est la production de coton qui n’a jamais décollé localement. Le coton est importé essentiellement de l’Inde puis des USA. Ainsi, pendant la 2eme guerre mondiale, l’usine tourne à 10 % de ses capacités. Elle est bombardée en 1944 par les Américains. L’activité reprend timidement en 1948 et la société change de mains après le départ des Français.


Intérieur de l’usine au début des années 1950

Aujourd’hui, l’usine existe toujours, et emploie encore quelques milliers de salariés. Après 6 mois de formation, les salaires mensuels sont en moyenne de 130 euros.

En savoir plus ? à suivre sur http://belleindochine.free.fr/CotonniereDuTonkin.htm

Sources nombreuses dont Robéquain, J-P Aumiphin, site internet ANAI .. Merci à A Leger pour son aide!

Commentaires 14

  • 02 / 07 / 2012
    Bonjour,
    Aujourd’hui, je vous ai adressé un mel directement, car je suis l’arrière petit fils aîné d’Anthyme Dupré, fondateur de la Société Cotonnière du Tonkin à Nam Dinh et j’ai lu avec intérêt les informations citées sur votre lien dont je vous remercie. Je pourrais vous adresser deux photos de l’entrée de la SCT (porte principale des bureaux) et aussi de mon aïeul, mais ce sont surtout vos archives en dehors de celles de l’ANAI dont j’avais déjà pris connaissances sur la SCT qui m’intéressent.
    Cordialement
    Thierry Benoist

    • Bonjour,

      Je suis la petite fille de Maurice Barret qui a été directeur de l’usine dans les années 1910, je ne l’ai pas connu mais j’ai des photos de l’usine à l’époque avec les gens qui y travaillaient et aussi les échantillons des tissus produits à cette époque rassemblés par mon grand père avec écrit sur une feuille cartonnée des grands magasins réunis d’Hanoi: Tissage de Nam Dinh. Je pense que ces échantillons qui ont plus de 100 ans, seraient à leur place dans le musée de l’usine puisque j’apprends avec émotion qu’il y a un musée. J’aimerais bien-sûr avoir des renseignements sur la période durant laquelle mon grand père était à Nam Dinh, savoir quelles années il y était exactement, si vous avez encore les archives. Je vous remercie.
      Cordialement.
      Isabelle Mallet

    • Bonjour Thierry
      Je suis ta cousine Laurence Chavane-Burger (tu te souviens de vacances à Agay quand nous étions jeunes).
      Et cherche à te joindre au sujet de la Cotonnière du Tonkin et de son génial fondateur Anthyme Dupré.
      Merci
      laur.burger@gmail.com
      tellement: 0607673352

  • Madame Mallet,

    Le 28 septembre 2014, vous écriviez que, petite fille de Maurice Barret directeur de l’usine de la Société Cotonnière du Tonkin fondée par mon arrière grand père Anthyme Dupré en 1900 à Nam Dinh, vous disposez de pièces et photos datant de 1910 ; il me serait agréable de comparer vos photois à celles que ma famille m’a laissées ! Anthyme Dupré, père de Léonie, devenue Madame Pierre Benoist est décédé en janvier 1940 et je cherche à compléter les informations relatives à l’aventure indochinoise de mon aïeul qui s’installa dans ce pays grâce à la Banque de l’Indochine où il fut employé dès la fin de l’année 1890 jusqu’en juillet 1897 …
    Votre réponse me comblerait de joie !
    Cordialement
    Thierry BENOIST

    • à l’attention de Thierry Benoist
      Merci de bien vouloir nous contacter, afin que je puisse vous envoyer un petit ouvrage sur mon grand-père Pierre Cosserat, dans lequel sont reproduites des photos de Pierre Benoist et Léonie Dupré, (sa femme, que nous appelions « Tante Leo ») auprès de mes soeurs et moi, avant la guerre de 40: je suis né en 1926!!!!
      Ma mère, Elisabeth Cosserat était cousine germaine de Pierre Benoist par sa mère, née Mathilde Benoist, (décédée très jeune, en mettant au monde son 4ème enfant, qui n’a pas vécu, en 1902).Nous avons acheté en vente publique le portrait de Tante Leo, par Braitou Sala. Il sera exposé au Musée de la Piscine à Roubaix dans qqs semaines.
      A bientôt j’espère, votre (vieux) cousin(?)Jacques Velliet à Lille

  • Je suis le petit fils de Raymond Aubert, mon grand père maternel, qui fut un des directeurs de la société cotonnière (+ ou – de 1924 à 1929). J’ai pas mal de photos de cette époque où la famille Aubert, don’t ma mère, a vécu à Nam Dinh. J’ai scanné toutes les photos pour un album à distribuer à ma famille mais si ces dates interressent quelqu’un je suis pret à partager.

    • Bonsoir Monsieur Aubert,
      Vous aviez écrit un mel le 14 septembre 2015 à propos de votre grand Père, Raymond Aubert, votre grand père maternel, qui fut un des directeurs de la société cotonnière (+ ou – de 1924 à 1929). J’en prends connaissance en ce début de 2018, mais vous réponds, car vous mentionnez que vous avez scanné de nombreuses photos de cette époque où votre famille (dont votre mère), avait vécu à Nam Dinh.
      Je serais fort intéressé d’en recevoir quelques unes; notamment de de votre grand Père, directeur, car je suis moi même un descendant direct du fondateur de la dite société cotonnière du Tonkin, par ma grand Mère, Léonie DUPRÉ, second enfant d’Anthyme DUPRÉ (née en 1902) qui épousa Pierre L. BENOIST et donna naissance à mon Père, Serge L BENOIST en 1923.
      D’avance merci,
      Thierry P. BENOIST
      0665001138
      oupaycececap@gmail.com

  • Bonjour,

    En recherchant des renseignements sur ma grand tante née à Nam Dinh (mon arrière grand père Georges Emile MARCONNET était le directeur de la Cotonnière du Tonkin en 1915), je suis tombé sur votre blog. Je n’ai que peu de souvenirs de lui (il est décédé en 1929 !) si ce n’est quelques photos de famille et des meubles qui ont traversé les siècles et les continents.
    Je recherche maintenant.la société à Pondichéry où il a travaillé avant d’arriver au Tonkin.

    Merci pour ce blog qui m’a permis de reconstituer une partie de mon histoire.

    Bien cordialement.

    • Monsieur MARCONNET,

      Je découvre tardivement votre courriel du 19 février 2016 relatif à votre arrière grand père Georges Emile MARCONNET ancien directeur de la Cotonnière du Tonkin en 1915 ; or étant moi même un des descendants du fondateur de cette SCT, Anthyme DUPRE, en filiation directe de son deuxième enfant, feue ma grand Mère Léonie Dupré (décembre 1902) épouse de Pierre L. BENOIST, et par la suite leur fils aîné, feu Serge L BENOIST (avril 1923), il me serait très agréable d’entrer en relation avec vous pour évoquer quelques souvenirs de cette aventure tonkinoise, photos de famille et meubles qui ont traversé les siècles et les continents.
      Avec mes remerciements anticipés
      Thierry P. BENOIST

  • Bonjour,
    Je suis l’arrière petite fille de Philippe Gasser, il dirigeait la cotonnière de Nam Dinh notamment lors de la guerre en indochine (c’est la que mon grand père rencontra ma grand mere), je me rend au Vietnam en juillet prochain et cherche a retrouver l’usine voir meme sa maison qu’ils appelaient la « villa gasser » malheureusement je ne trouve pas plus d’information sur le devenir (et l’emplacement) de cette cotonnière et/ou l’emplacement de l’ancienne habitation de mon arrière grand-père,
    Avez vous des informations ? Pouvez vous m’aider, ou me guider ? Je peux avoir accès a des photos anciennes de la maison si besoin,
    Merci d’avance,
    Telma SPRAUEL, arrière petite fille de Philippe GASSER

  • Bonjour,
    J’ai rencontré hier un ancien combattant d’Indochine dénommé Jacques Lelièvre qui a combattu durant plusieurs années dans ce pays, notamment au côté du célèbre Roger VANDENBERGHE.
    Il m’a cité cette cotonnière de Nam-Dinh qui fut leur zone de repos à de nombreuses reprises entre deux opérations.
    Si vous avez des informations ou des photos de cette période je suis preneur pour pouvoir lui transmettre !
    Cordialement
    Jack

  • Pour Pierre Benoist
    Auriez vous dans vos archives des documents ou photos sur Ettore COSTA qui fut , je ne suis plus tres sur , un des directeurs de la Cottonniere de Nam Dinh entre les annees 35 -55 , environ??
    Merci par avance de votre ecoute

    Bernard Lambert

  • Bonjour,
    Qui était Léonie Dupré, la femme d’Anthyme ?
    De quelle façon a-t-elle participé à son implantation et à ses réussites indochinoises ?
    Où son portait réalisé par Braitou-Sala est-il visible ?
    Merci
    Laurence Chavane-Burger

  • Lors d’une recherche je tombe sur ce blog et en profite pour vous répondre partiellement. Saif erreur, Léonie Dupré est la fille d’Anthyme (et non son épouse) et par mariage est devenue Mme Pierre Benoist. Son portrait a été prêté en 2016 (Roubaix, Musée de La Piscine) à l’exposition monographique consacrée au peintre Albert Braïtou-Sala, en vogue à l’époque pour les « portraits mondains ». Il est reproduit au catalogue… Et se trouve dans ma famille. Cordialement, Alexis Velliet

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