Rénovation des arènes de Hué !

Les arènes de Hué forment un monument atypique propice à l’imagination ! Leur récente rénovation et leur ouverture au public sont l’occasion de se pencher sur l’histoire des combats d’éléphants et de tigre à hué.


Vieille carte postale colorisée des arènes de Hué (copyrighted fd fievez)

Précisons d’emblée que les combats sont inégaux : tout est fait pour que les éléphants l’emportent sur les tigres. Pour une raison bien compréhensible : les éléphants sont rares et chers, alors que les tigres pullulent. Sous le roi Ming Mang, Jean Baptiste Chaigneaux parle de 800 éléphants pour le royaume d’Annam. A défaut d’artillerie, la puissance d’un état se mesure au nombre de ses éléphants. D’ailleurs, non loin des arènes, se trouve la pagode Vo Re, « l’éléphant qui barrit », construite en hommage à ces précieux auxiliaires. Les éléphants de guerre honorés ici sont considérés comme des génies protecteurs de la nation.

Les arènes proprement dites ont été construites sous Minh Mang en 1830. Le diamètre est de 44 mètres pour un périmètre de 140 mètres, des dimensions modestes donc. On n’est pas à Rome ! Il ne s’agissait pas de combats populaires non plus. Le roi et la famille royale s’installaient en haut des arènes, face aux cages des tigres, avec un escalier réservé à leur usage. A leur droite, se trouvaient quelques hauts mandarins et les invités civils à partir de la présence française. Les combats se déroulaient de temps en temps, rarement plus d’une fois par an, lors d’occasions spéciales. Le dernier combat eu lieu en 1904 sous l’empereur Thanh Thai.


Carte postale datée de 1904

La première description occidentale des combats entre éléphants et tigres date de Pierre Poivre,present à Hué vers 1750. A l’époque, les combats ont lieu sur l’ile Da Vien. 40 éléphants y sont transportés pour l’occasion. En face, à l’autre extrémité de l’ile, des tigres, préparés pour le combat, c’est-à-dire bien amoindris. Le Roi et sa suite sont sur des galères. Au signal, on libère un tigre (mais qui reste attaché à un piquet..) et un des éléphants vient à sa rencontre. Poivre décrit la scène : « Il replie sa trompe de crainte d’être saisi par cet endroit sensible, et avec ses deux dents soulève le tigre qui est sans défense, et le fait pirouetter assez haut, puis recommence ce jeu jusqu’à ce que le tigre soit entièrement mort. Alors des soldats avec des fagots de paille viennent lui brûler les barbes afin que personne ne puisse s’en servir pour composer des poisons, car les gens du pays prétendent que ces poils sont extrêmement dangereux. » Ce jour là, 18 tigres auront été tués de cette manière.

Un peu plus tard, c’est Jean Baptiste Chaigneau qui nous raconte les combats que ne semblent pas avoir changé depuis 1750. Dans ses souvenirs, il évoque un incident dramatique. « Sous le règne de Gia-Long[1802-1820], j’ai assisté, étant dans le bateau de mon père, à l’un de ces spectacles, dont le résultat a été funeste à un cornac et à plusieurs des soldats qui entouraient le lieu du combat. Le tigre qu’on mettait en présence des éléphants avait déjà fait plusieurs victimes lorsqu’il fut pris dans un piège; Aussi voulut-on que son exécution eût lieu avec le plus de pompe possible, et il y avait, ce jour-là, un public fort nombreux. Ce tigre était d’une taille peu ordinaire. Il semblait ne rien redouter, et, lorsqu’on le fit sortir de sa cage, il bondissait, cherchant à rompre son câble. Mais, ne pouvant y réussir, il se cacha et se résigna momentanément. Cependant un éléphant, poussé avec vigueur par son cornac et son piqueur, avançait à grands pas, et déjà il était près du petit bois où le tigre se tenait blotti, lorsque celui-ci, comme un trait, s’élança sur la tète de son agresseur, et, avec sa patte de fer, appliqua sur la tempe du cornac un coup tellement violent, qu’il l’étourdit et le fit tomber à terre. Pour comble de malheur, l’éléphant, ne se sentant plus dirigé, rebroussa chemin, et, dans sa fuite, passa sur le corps du pauvre cornac. Un cri d’horreur se fit entendre de toutes parts. Les soldats emportèrent le corps de ce malheureux, et l’on se prépara à un nouveau combat. Un autre éléphant fut désigné pour entrer en lutte; »


Autre carte postale des arènes

Mais, malgré toutes les précautions, le tigre ne se calma point. Chaigneau précise : « Retenu par son câble, sa fureur devint extrême: il bondissait de colère, il se débattait avec rage, et, par un suprême effort, il rompit le lien qui le retenait captif. Ce fut un moment affreux pour ceux qui étaient présents à ce combat; il y eut un désordre général parmi les soldats comme parmi les curieux. Ceux-ci surtout, effrayés, voulant éviter la rencontre de l’animal furieux, prirent la fuite, renversant, culbutant tout ce qu’ils rencontraient, bravant ainsi un danger réel pour éviter un danger inconnu. Le tigre, se voyant libre, abandonna son adversaire. Sans doute, sa préoccupation du moment était de regagner les montagnes : aussi chercha-t-il avec persistance à se frayer un passage, malgré la gêne que lui faisaient éprouver ses entraves; il fit, en courant, le tour du champ de combat ; partout il voyait des lignes épaisses de soldats qui le menaçaient avec leurs piques et leurs sabres. Mais, payant d’audace et bravant tous les obstacles, il avait déjà réussi à se faire une trouée dans la première ligne de soldats, après avoir blessé quelques- uns d’entre eux, lorsque le mandarin chargé du commandement de la troupe fit entendre un gros Jurement : «Si vous ne me reprenez à l’instant cet animal, dit-il à ses soldats, je vous fais trancher la tête à tous. A ces paroles menaçantes, les soldats se précipitent sur le tigre; celui-ci s’échappe de leurs mains, non sans avoir causé quelques accidents; ils le reprennent une seconde fois, l’animal s’échappe encore. Enfin, pour éviter de plus grands malheurs, le mandarin donna l’ordre de le tuer. Alors une forêt de piques tombèrent sur lui et il fut percé de part en part. On le traîna sans vie près du buisson, où l’on fit venir plusieurs éléphants qui le jetèrent en l’air chacun à son tour, et le dernier finit par le fouler avec ses pieds. »


Article paru dans Le Petit Journal en 1904

A l’époque de Minh Mang, les combats sont organisés le long de la rivière des parfums, à proximité de la citadelle. Le roi suit les combats depuis son bateau. Mais en 1829, un tigre s’échappa, se jeta à l’eau, et commença à nager vers le bateau du roi. La légende dit que le roi lui-même maintena le tigre au large à l’aide d’une gaffe, avant que ses troupes puissent le tuer. C’est à l’issue de cet incident que la décision de construire des arènes fut prise.

En 1884, on prévoit d’offrir aux représentants de la France un combat lors de la ratification du Traité de Protectorat entre la France et l’Annam (traite Patenôtre). Le journal « Le Monde Illustré » publie un article complet sur les fêtes qui ont eu lieu à ce moment là, en commençant par la préparation du combat.
« La difficulté du combat est de se procurer un tigre[vivant]. Quant aux éléphants, ils abondent dans la citadelle. Le tigre, nous l’avons eu. Ce n’a pas été sans peine. Il a fallu aller jusqu’aux portes de fer, dans le voisinage de Tourane, pour le découvrir. Au moyen d’appâts savamment combinés, en flattant les goûts du tigre pour la chèvre et le chevreau, les chasseurs ont réussi à l’amener jusqu’à une immense clairière où ils s’étaient proposé de le faire prisonnier. Les chasseurs doivent ramener le tigre vivant. Armés de murailles de bambous, ils se développent en tirailleurs et forment autour de leur proie un immense cercle qui, comme la tour fantastique d’Edgar Poe, se rétrécit peu à peu et se resserre sur l’animal. Quand le cercle est suffisamment rétréci, on apporte une cage en bois solidement construite et l’on prie poliment le tigre de s’introduire dans l’appartement qui lui est destiné. Souvent le tigre fait des difficultés. Il ne se laisse pas facilement persuader, on insiste, et, moyennant un bras ou deux, moyennant une jambe ou une tête d’Annamite, on finit par l’enfermer dans sa prison. Sur les épaules des chasseurs, on le ramène à la capitale.

Notre tigre n’a rien coûté en bras, en jambe, ou en tête. Arrivé à Hué, on l’a déposé sous une des cales de la rivière où reposent les jonques du roi et le public a été admis à l’injurier. Le tigre est le grand ennemi de l’Annamite. Chacun a quelque parent à lui reprocher. Aussi les épithètes violentes ne chôment elles pas. Le tigre, dans sa cage, semble ne rien comprendre à ce débordement de colère. On ne le voit pas, le tigre. La cage est bien fermée; mais on le sent. Quelle odeur!


Cage du tigre, dans l’article du Monde Illustré paru en 1884

La nuit, on l’entend. Il pleure sa captivité. Et quand « Ong Cop », monseigneur le tigre, pleure, tous les animaux, dans le voisinage, tremblent et frémissent de leurs deux ou de leurs quatre pattes, chacun suivant ses moyens. Notre tigre a passé la nuit près de la Résidence [Supérieure de l’Annam]. Avec le soleil, il se lève, ou plutôt on l’enlève dans sa cage et on le transporte de l’autre côté de la rivière. Il s’agit de le préparer pour le combat. Quelle préparation ! La cage est mise sous un énorme filet. Un plancher mobile écrase la pauvre bête, qui est obligée de laisser passer les pattes par les fentes de la cage. Trois Annamites sont là de chaque bord — en costume rouge, bordé de jaune, comme les soldats. L’un est armé d’une pince en forme de lunette. Un autre est armé d’une pince plate. Le troisième d’une pince coupante. Les pattes à peine sorties de la cage sont vigoureusement amarrées par des cordes de bambous. La patte est manœuvrée par la pince à lunettes qui lui donne la position la plus favorable à la préparation que l’on a en vue. La pince plate saisit une griffe. La pince coupante coupe la griffe. Le tigre n’est pas content et témoigne son mécontentement comme il peut. Mais l’Annamite qui, juché sur la cage, dirige l’opération, modère l’ardeur de l’animal en appuyant plus ou moins fortement sur le plancher. Sous le filet une gantière fabrique quatre gants de cuir dans lesquels on fera entrer bon gré mal gré les pattes du tigre. Ainsi préparé, le tigre combattra l’éléphant. C’est au supplice et non au combat qu’on envoie ce pauvre tigre! Possible, il ne faut pas abîmer les éléphants de Sa Majesté. De si bonnes bêtes! Et si douces, quand elles ne sont pas au temps des amours! On les voit se promener dans les rues de la citadelle avec le sentiment de leur dignité — majestueusement — sur leur dos, on aperçoit deux insectes: ce sont leurs cornacs. De père en fils, on est cornac dans certaines familles privilégiées de Hué. Au temps des amours, il n’est pas rare que l’éléphant joue au bilboquet avec son cornac.

[..]. Le combat doit avoir lieu à 2 heures ½ [..] Hélas! Arrive une lettre de faire part! Le tigre est mort. — On nous l’apporte, comme Marlborough, sur les épaules de quatre vaillants guerriers- A force de le préparer, on l’a tué. »


Dessin des arènes paru dans le bulletin des Amis du Vieux Hué (BAVH)

Le dernier combat eu lieu en 1904 sous l’empereur Thanh Thai. Le récit est relaté dans « Le Petit Journal Illustré » :

«Il [Le Roi Thanh Thai] entendit que tous profitent de ses distractions. Il résolut donc d’offrir à la population européenne de Hué un spectacle peu commun, le combat d’un tigre et d’un éléphant.

Le tigre, récemment capturé par sa Majesté, avait sur la conscience quelques existences indigènes. Quant a l’éléphant, c’était une femelle venant du Quang Ngai ou elle avait tué son cornac et mise à mal 3 autres annamites. Les deux adversaires promettaient. Malheureusement, avant le jour choisi pour le combat public, sa majesté avait voulu essayer, en sa présence, dans l’arène impériale, les 2 ennemies. Ils sortirent de cette 1ere épreuve, le tigre bien affaibli, et l’éléphant sérieusement griffé. Aussi firent-ils preuve d’une molle ardeur lorsqu’ils parurent devant le tout Hué, quelque peu désappointé.

Excité par les cris des cornacs et poussés à coup de perche l’éléphant pris l’offensive après bien des hésitations. Le tigre sauta sur l’éléphant, qui lui pris le corps en travers avec la trompe et le serra à lui briser les cotes. Se dégageant, le tigre essaya de grimper sur la jambe gauche de derrière de son adversaire. Celui-ci, que la colère à la fin gagnait, lui envoya un formidable coup de pied puis attendit. Le tigre se coucha au pied du mur et n’en bougea plus. Il était mort. Le combat n’avait dure que quelques minutes. »


Dessin paru dans l’article du Monde Illustré en 1884

Ainsi se termina les combats dans les arènes de Hué. Le nombre d’éléphants diminua progressivement, car leur coût d’entretien était très élevé. Récemment, deux éléphants étaient encore de parade dans la citadelle. Mais ils sont morts en 2018. Les tigres, quant à eux, ont continué à infester l’Indochine jusqu’à la fin de la guerre. D’après les habitants, il n’était pas rare d’en voir les traces jusqu’en 1975.
La restoration des arènes a été bien faite… il ne manque qu’à imaginer les combats qui ont pris fin il y a un peu plus d’un siècle…

Sources principales: Gallica et BAVH
Extrait du livre « Souvenirs de Hue » de Chaigneau : Souvenirs_de_Hué_(Cochinchine)___[…]Chaigneau_Michel_tigre

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