Sur les traces de Marguerite Duras au Cambodge

Les touristes qui passent au kilomètre 184 sur la route de Phnom Penh à Sihanoukville savent-ils que la famille Donnadieu habitait là régulièrement entre 1924 et 1935 ? Cet endroit est le lieu d’inspiration du livre « Des barrages contre le pacifique » publié par Marguerite Duras en 1950. La mère de Marguerite, veuve depuis peu, obtient une concession en bordure de mer. Elle y construit des « barrages » avec des moyens de fortune pour protéger ses terres de l’eau salée.. Mais un jour, la mer finit par gagner la bataille et la famille est ruinée..

Une stèle est apposée en mémoire de Marguerite Duras, le long de la route, sur l’emplacement du bungalow. Les rizières obtenues en concession sont, elles, situées à plusieurs kilomètres de là, proche de la mer.

Mais pourquoi diable la mère de Margerite Duras a –t-elle décidé de se lancer dans la culture du riz ? C’est la question qui me taraude depuis la visite des lieux.

Dans la littérature coloniale de cette époque, on peut lire « les terrains du Cambodge ne sont encore que très faiblement mis en valeur. Sur une superficie de 10 millions d’hectare, il n’y a pas encore 1 million d’hectares mis en culture tant par les indigènes que par les Européens.. ». Et encore « La colonisation européenne au Cambodge est presque exclusivement réservée aux grandes sociétés dotées de moyens financiers d’exploitation puissants et travaillant sur des concessions étendues. La petite concession de moins de 300 hectares est rare. Cela provient de ce que le Cambodge avec son climat chaud et épuisant n’est pas un pays de colonisation pour l’Européen. Il n’est pas possible de voir naître ici le petit colon qui s’installe définitivement comme cela se produit dans d’autres colonies. Les seules cultures faites dans les conditions industrielles par l’Européens sont le riz et le caoutchouc. » (L’indochine Moderne, 1934)

Dans ce coin perdu, peu de colons. Le plus connu est Henry Chavigny de Lachevrotiére, journaliste, homme politique, ardant défenseur de la présence française en Indochine. Mais lui est riche (il possède d’importants hôtels à Saigon) et a obtenu une concession de 1100 hectares, dont à peine 10% sont mis en culture en 1934…

Les rendements eux même sont, toujours à cette époque, 3 fois plus faibles que ceux de la région de Battambang … La région de Réam est excentrée. Il n’y a que 2 bus par semaine pour aller à Phnom Penh et la province ne compte que 71 européens…

N’était il pas plus simple de s’installer à Saigon et d’ouvrir un petit commerce ?

La dureté du verbe utilisé par Marguerite Duras contre les colons qui obtiennent d’importantes concessions est aussi totalement incompréhensible. Elle défend les petits paysans qui sont expulsés de leur terre, mais en même temps, la famille rêve d’obtenir une concession de « qualité » sans bourse délier…

L’échec est donc avant tout lié aux mauvaises décisions prises par Madame Donnadieu. Mais paix en son âme, car sans cela, il n’y aurait sans doute pas eu de succès littéraire !


Image tirée du film de Rithy Panh sorti en 2008

Aujourd’hui, les « barrages » ont été construits, grâce aux aides européennes et la région est l’une des plus fertiles du Cambodge. Ainsi, avec un peu de décalage, le « pari » de Madame Donnadieu a réussi…


Les rizières aujourd’hui.. au fond, le massif de l’Eléphant.. le Bokor n’est pas très loin…

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