Témoignage: «un camp scout à Djiring»

« Dans les années 50, peut être en 1957, nous avons participé à un camp scout dans une léproserie où œuvraient des pères catholiques. A la lecture du blog, je sais aujourd’hui que son créateur était le père Cassaigne, et que les lépreux étaient des moÏs, les habitants de ces hauts plateaux. La léproserie portait le nom de « kala ». Elle était implantée en contrebas de la petite ville de Djiring, elle même sur la route reliant Saïgon à Dalat. Kala était composée de plusieurs constructions de bois et de tôles. Les religieux avaient constitué une troupe de louveteaux, que nous affrontions de temps en temps, pour des tournois de jeu du foulard, ou de football. Tous les matins, après la toilette, nous faisions du sport sur un petit terrain de football. Ce terrain est visible sur la photo aérienne. On y distingue le talus où se tenaient assis nos « admirateurs ». La construction coupée sur la photo, en bas à droite, devait être la chapelle.  »

« La séance de sport matinale intriguait les moïs. Et au fil des jours, nos curieux se faisaient de plus en plus nombreux. Sous les regards de nos « admirateurs », nous devions exécuter des mouvements de gymnastique.
Un matin, il arriva un incident cocasse. A la fin d’un enchainement de mouvements, notre cheftaine nous demanda d’exécuter une série de saute-moutons. Il y avait dans notre troupe un louveteau un peu gros. Quand vint le tour de ce dernier, à son premier saut, sa réception fut un désastre, son short tomba, le découvrant nu comme un ver sous les yeux ébahis de nos spectateurs. En un instant ce fut des éclats de rires. »

« Pendant ce même séjour, il avait été décidé que nous irions visiter un village moïs. Le jour dit, on partit tous en file indienne derrières nos guides adultes, et de louveteaux moïs. Après un début de parcours facile, on commença à pénétrer dans la forêt humide où les plantes dégoulinaient et nous avaient rapidement trempé. Les feuilles que nous devions écarter tout le long du sentier étroit déposaient sur nous des sangsues luisantes et noires. A chaque arrêt, c’était l’inspection des bras, des jambes, et des chaussures. Les sangsues, parfois 5 par jambes, venaient aussi se coller sur les bras, et dans le cou. Une grande personne venait avec une cigarette allumée pour les brûler puis les détacher.  »


Arrivée au village moi

« La marche était assez longue et quand on aperçut des rangées de bambous dressés devant nous en fin de journée, c’était le soulagement. Pour pénétrer dans le village fortifié, il fallait marcher sur une cinquantaine de mètres, au milieu d’un étroit couloir de hauts bambous aux pointes acérées.
Nous étions fatigués par la longue marche et par les « prises de sang » à répétitions. Après un rapide repas, on nous dispersa dans les huttes sur pilotis. Leurs planchers étaient à un mètre cinquante environ du sol. Ces huttes étaient toute en longueur et pouvaient abriter une grande famille au complet. Pour pénétrer à l’intérieur, il fallait se baisser, puis marquer un temps d’arrêt, de façon à s’habituer à l’obscurité. Une très forte odeur de fumée, provenant d’un petit foyer, nous étouffait. Comme aucune cheminée n’était prévue, la fumée s’accumulait sur la moitié supérieure de l’habitacle. Le trop plein s’échappait entre les bambous et par la petite entrée. A l’intérieur, il était difficile de se déplacer, tant il faisait sombre. Tout déplacement se faisait au petit bonheur la chance. »

« Ce village était un peu différent de celui de photo, car la grande forêt venait plus près des huttes, et ces dernières étaient toutes sur pilotis. »

« Cette seule nuit passée avec les Moïs, je m’en souviens bien encore. Une nuit interminable, où j’avais du mal à trouver le sommeil, tout enfumé comme un jambon. Autour de ce feu, des hommes ont parlé pratiquement toute la nuit. A moitié asphyxié, j’étais aussi terrorisé par une grosse chose qui pendait au dessus de ma tête: une énorme jarre suspendue par des lanières. Avant de trouver le sommeil, je fis une prière pour que les lanières végétales tiennent bon.
Le lendemain, retour par le même chemin, où tout le long, nous avons servi de repas aux sangsues sournoises, qui nous attendaient.
Ce séjour à Kala fut quand même bénéfique car à ce moment là, mon frère et moi avions beaucoup de verrues aux genoux. Quelle ne fut pas notre surprise de les voir toutes disparaître à notre retour à Saïgon. Peut être était-ce grâce à nos baignades répétées dans le petit ruisseau qui traversait la léproserie ? »

Jean Pierre Hua, 2022

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