Catégorie «Indochine»

Saigon: la villa de l’ancienne rue Testard sauvée!

En 2014, j’avais fait un article (1) sur une maison ancienne vendue plus de 35 millions de dollars à Saigon. Compte tenu du prix et de la surface, je pensais que nous aurions quelques années plus tard une immense tour moderne à la place. Et bien, j’ai eu tort ! La maison, achetée par une riche famille vietnamienne, a été restaurée pendant plusieurs années et sera d’ici peu ouverte au public.


La villa vue du ciel

On en sait un tout petit peu plus sur cette villa. Suite à l’acquisition de 2 terrains, le propriétaire d’origine, un certain Nguyen Van Nhieu, fait construire cette villa entre 1927 et 1930. Il semble qu’elle ait été donnée à la location ensuite. Elle a servi notamment à l’accueil de bureau de l’armée de l’air en 1946. Le domaine est vendu à une autre famille vietnamienne en 1950 qui l’occupera jusqu’à sa vente en 2014. Le fait que la maison soit restée aux mains de vietnamiens l’a certainement protégée du démentiellement après 1975.

Rappelons que cette maison est située entre 3 rues différentes (Vo Van Tam, Ba Huyen Thanh Quan et Nguyen Thi Dieu), son entrée principale est au 110-112 de la rue Vo Van Tan, anciennement rue Testard.


L’escalier central est probablement la partie la plus impressionnante de la maison. On remarquera le carrelage qui est singulier

Une équipe italienne et anglaise a restaure les intérieurs, et notamment les peintures murales. On parle d’un budget de 20 millions de dollars pour la restauration.

L’ouverture est annoncée pour le 4eme trimestre 2022. Il semble que la maison sera un haut lieu de la gastronomie vietnamienne, mais aussi servira d’espace pour des expositions ou des évènements culturels.

Toutes les photos proviennent du site officiel sur internet https://villalevoile.com/ et sur facebook.

(1) https://blogparishue.fr/35-millions-de-dollars/

Elargissement de la rue Hanoi à Hué

A une époque ou l’on cherche à réduire le nombre de voiture dans les centre villes, les vietnamiens préfèrent continuer à élargir les rues pour en faire des routes.. C’est le cas de la rue Hanoi qui fait partie de l’axe de circulation du nord au sud de la ville. L’objectif affiché est de réduire les embouteillages dans le centre ville..


Le rue Hanoi, vue du ciel (source internet)

Cette rue, de presque 1km de longueur, fait actuellement 24 mètres de large, avec 4 voies. Elle passera 36 mètres de large quand les travaux seront terminés. Il faudra traverser les 8 voies de circulation, un beau challenge pour les piétons, dont les touristes. Heureusement, l’hôpital est tout proche !

Les arbres, qui faisaient aussi la beauté de la rue, ont été enlevés pour la moitié, certains coupés , d’autres déplantés pour être replanter ailleurs.

Grace à l’existence de l’église Saint Francois Xavier, dont l’arrière donne sur cette rue, les maisons ne seront pas démolies. En revanche, sur l’autre coté, les bâtiments sont soit détruits soit ratiboisés.

Du temps des français, la rue s’appelait « rue Henri Rivière », nom du célèbre officier de marine qui mourra en 1883 lors de la conquête du Tonkin. La rue partait du cercle nautique, le long de la rivière des parfums (le bâtiment existe toujours) et allait jusqu’au rond point de la gendarmerie (bâtiment détruit il y a une dizaine d’années)

Sur cet axe restaient 2 maisons anciennes qui vont être démolies.

La première est une imprimerie, bâtiment d’un seul niveau, située à l’angle de la rue Riviere et de la rue Pasteur.


Une jolie piece circulaire, dans le batiment de l’imprimerie

La deuxième est une maison particulière dont je cherche à identifier l’ancien propriétaire.


Vue de la fenêtre du 1ere étage de la maison


Vue de la porte d’entrée, avec les initiales KT – TT

Elle est située juste au niveau de l’arrière de l’église, de l’autre coté de la rue. S’agit-il de la maison de la famille Sogny (Léon Sogny était le chef de la sureté d’Annam, décédé en 1947), de la famille About ou de la famille Chenevier ? (familles présentes à Hué en 1945).
Jusqu’à sa destruction, elle était occupée par l’association des anciens combattants.

S’ajoute aussi à ces bâtiments l’ancien kiosque du jardin public.. Le jardin a été transformé en un parc d’amusement avec une piscine à toboggans… et quelques batiments.

C’est un peu de l’histoire de Hué qui disparait !

La mosquée indienne de Hué

Pour les quelques Huéens que nous avons interrogés, il s’agit d’un temple hindou.. Mais ce n’est pas un temple, c’est une mosquée construite par et pour des indiens musulmans. Elle est tellement discrète et bien cachée qu’il m’a fallu plusieurs années à Hué pour apprendre son existence. Etonnamment, même Tim Doling n’en parle pas dans son guide pourtant très exhaustif (1) et c’est un petit plan sommaire de la ville, distribué dans quelques hôtels de la ville, qui indique son emplacement !

Elle se situe dans une étroite ruelle au niveau du 120 de la rue Chi Lang, située dans le quartier Gia Hoi, autrefois la partie commerciale de la ville occupée principalement par les chinois.

Grace aux informations collectées aux archives des colonies à Aix en Provence (2), on sait que cette mosquée a été construite en 1921 à la demande des musulmans locaux, une communauté de 35 personnes. La demande de permis de construire a été formulée par des sujets britanniques. Ces musulmans étaient probablement originaires de la région de Madras, au sud de l’inde. On sait en effet que la plupart des musulmans indiens présents en Indochine provenaient de cette région. Ils ont érigé des mosquées non seulement à Saigon, Hanoï et donc hué, mais aussi à Mytho et Tra Vinh. Ils parlaient le Tamoul.

Dans un livre sur Hué, on estime la communauté indienne en 1905 à 10 individus seulement. Les chinois sont estimés la meme année à 450 personnes. La ville à l’époque avait 60.000 habitants.

Dans l’annuaire de l’Indochine de 1925, deux commerces indiens sont signalés à Hué :
KASSIMSSAH, mercerie et divers, rue Paul-Bert.
MOUGAMADOU ISSOUMESAH, marchand d’étoffes, rue Paul-Bert.
La rue Paul Bert est la rue actuelle Trang Hung Dao, et c’était la « nouvelle » rue commerçante de la ville, face au marché Dong Ba.

12 ans plus tard, toujours dans l’annuaire de l’Indochine, on note trace de 2 commerçants indiens:
AVE-MOHAMED ISSOUP, Tissus en gros et demi-gros, au 143 rue Paul Bert et toujours Issoumessah. Ces 2 commerçants font partis de la centaine de personnes ayant le téléphone à cette époque à Hué. On peut donc en déduire que ces indiens étaient des commerçants importants de la ville. Dans un autre ouvrage, on indique que les indiens de Hué faisaient toujours venir leur marchandise de Tourane. Le tissus provenait de Singapour ou de Bombay.

Et quand on interroge les « anciens » de Hué, on nous parle toujours tissus. Ces indiens vendaient des tissus aux motifs uniques, des soieries introuvables ailleurs et toujours à des prix très raisonnables. Près de la mosquée, on nous a parlé aussi d’un vendeur d’épices et de curry. Les indiens de Hué ont-ils fait souche ? on n’a trouvé aucune famille d’origine indienne à Hué. La plupart des indiens sont partis sous la période Diem (1955—1963) et en 1975 pour les derniers. Les restaurants indiens actuels sont des implantations récentes.


La porte du lieu de culte

Sur l’unique carte postale trouvée sur les indiens de Hué, sans doute prise dans les années 20, on voit plutôt un commerce d’objets en argent.

Mais revenons à notre mosquée. A l’époque, le terrain allait jusqu’à la rivière. Apres 1975, les terrains ont été cédés à de nouveaux habitants. Quant à la mosquée elle-même, elle a été vendue à une famille de fonctionnaire qui la possède toujours, mais ne l’habite plus.


On distingue le mihrab, niche creusée dans le mur pour indiquer la Mecque.

Il faut dire que la surface n’est pas très grande, à peine 100 m2 tout compris et pas plus de 50m2 pour les parties habitables. On note de nombreuses colonnes et arches. A l’intérieur, on retrouve toujours le mihrab qui indique la direction de la Mecque. En revanche, pas de trace du bassin pour les ablutions. Pas vraiment non plus de minaret. Le carrelage est superbe, on le retrouve dans de nombreuses constructions de ces années là.

Les photos ont été prises en 2020 ou nous avons eu la chance de pénétrer à l’intérieur sans pour autant rencontrer le propriétaire. La propriété s’est assez dégradée depuis.

(1) Exploring Hue, Tim Doling, disponible au Vietnam
(2) Merci au groupe de recherches mené par Caroline Herbelin pour ses précieuses informations

Les Indiens en Indochine

La présence d’une mosquée indienne à Hué autrefois me donne l’occasion d’évoquer la présence des indiens en Indochine.

Les premiers indiens sont arrivés à la demande des français peu après la conquête de la Cochinchine. Ces indiens, des tamouls, sont venus des territoires français en Inde, principalement de Pondichéry et de Karikal, au sud de l’inde. Ils avaient l’habitude de travailler avec les français, ils parlaient leur langue, ils étaient loyaux. Ils occupaient ainsi des postes subalternes dans l’administration. Leur statut spécifique leur permettait d’obtenir, tout comme les français fonctionnaires, des congés réguliers pour retourner dans leur pays. Certains travailleront aussi comme comptable dans les maisons de commerce de Saigon. Beaucoup plus tard, en 1909, des soldats indiens des territoires français viendront rejoindre les troupes françaises en Indochine.

On croise aussi d’autres indiens à Saigon, et notamment les cochers des « boites d’allumettes » ou « malabars », ces petites carrioles tirées par des chevaux locaux, et qui servent de moyens de transport collectifs.

Mais les plus connus sont les Chettys. Ils sont aussi tamouls, mais hindous. Ils forment la corporation des changeurs d’argent, des préteurs. Ils rendent d’innombrables services à la population locale, y compris les petits fonctionnaires français, car les banques ne prêtent qu’aux riches ! Bien sur, les taux sont proches de l’usure et les chettys, comme les chinois, sont souvent montrés du doigt. On ne les aime pas car leur profits sont renvoyés en Inde et ne profitent pas à la colonie. Certains sont devenus de gros propriétaires fonciers. La face visible de leur richesse est la beauté des processions qu’ils organisent lors des fêtes religieuses.

D’autres tamouls, des musulmans cette fois ci, sont venus aussi en Indochine pour faire du commerce. On les retrouve dans le commerce de l’or, de la bijouterie et surtout du textile. Les vietnamiens produisaient de l’étoffe grossière. Les français fabriquaient localement du tissus en grande quantité, mais ne se souciaient pas du gout des locaux. En revanche, le tissus des indiens avait une excellente réputation : prix, qualité et colories. Certains commerçants ont fait fortune, comme Adbul Aziz à Saigon et Mohamed Said à Hanoi. En 1928, Gilbert Tranh Chanh Chieu appelle au boycott de ces marchands de tissus indien, tout en incitant les vietnamiens à faire mieux. En vain.

Combien sont-ils en Indochine ? en 1910, on estime leur nombre à 1000. En 1937, on parle de 6000 indiens dont 1000 ou 2000 issus des territoires français. 1000 seraient musulmans. Comme on le voit, leur présence n’est pas considérable. Ils ont un avantage non négligeable par rapport aux locaux, c’est le droit de pouvoir circuler et de commercer librement partout.

Les indiens sont considérés comme de très bons commerçants, courtois, discrets, honnêtes. Mais on leur reproche de n’être « que de passage ». Ils sont solidaires entre eux, au sein de leur communauté. Ils se marient surtout entre eux. Les plus riches peuvent avoir une famille en Inde et une autre en Indochine. Les enfants sont éduqués en Inde et viennent en Indochine pour développer les affaires familiales.

Au départ des français, la situation des indiens est moins favorable avec le gouvernement Diem. Malgré une stricte neutralité, les indiens sont perçus par la population locale comme les « collaborateurs » des français puis des américains. Apres 1975, ils devront quitter le pays, comme tous les étrangers. Ceux qui viennent des anciens comptoirs français pourront partir librement en France, comme Français ou comme refugiés suivant leur statut.


Mosquee indienne à Saigon

Sources : gallica et des articles trouvés sur internet. Il ne semble pas exister d’ouvrages complets sur ce sujet. Cela pourrait faire l’objet d’une thèse intéressante.

Hué : une maison unique des années 50

Une maison unique par son style se trouve au 43 de la rue Nguyen Thai Hoc, en face du stade. J’ai toujours cru que cette maison avait été convertie en pagode, du fait de la présence d’un grand bouddha dans le jardin, mais en fait non. Il s’agit d’une maison conservée pour honorer la mémoire de la famille Tran Ky. En dehors du gardien, membre de la famille, personne ne vit dans les pièces principales.

Cette maison a été construite au début des années 50 par une famille « possédant plusieurs fermes dans les environs de Hué » (1). Le mari, un docteur vietnamien, était parti au nord Vietnam rejoindre les troupes nationalistes, laissant sa femme et ses enfants en plan. Pour faciliter l’éducation de ses enfants, leur mère a décidé d’acheter un terrain en ville puis de mandater un architecte moderne pour construire la maison. Rappelons que le stade a été construit en 1936 et ce quartier, constitué de rizières uniquement, va se développer tout doucement à partir de cette époque. Il faut dire que ce quartier était fréquemment inondé, ce qui n’attirait pas les foules. Les enfants serviront par la suite le régime sud vietnamien en s’engageant dans l’armée. En 1975, la maison est saisie par les autorités, puis restituée après plusieurs années de demarches quotidiennes de la part de leur mère.

La famille vit à présent aux Etats-Unis.


Les grilles de fer forgé sont particulièrement modernes pour l’époque

La maison est assez simple, de plein pied. Elle est composée de 3 pièces, le tout ne dépassant pas 90m2. A l’arrière, séparée de la maison principale comme c’était le cas autrefois, on y trouve la cuisine. En 1975, une partie du terrain a été accaparé par deux familles. Aujoud’hui, la propriété fait encore 1000m2, ce qui est tout à fait notable dans ce quartier, ou les prix flambent (la valeur du terrain dépasse les 5 millions de dollars…).


Sur Facebook, on m’a indiqué que cette decoration était un « atomic boomerang » en vogue à l’époque


Le carrelage est un mix entre tradition et modernité

(1) source familiale via fb

Comment le « Riz d’Indochine » est arrivé dans nos assiettes…

En pleine crise de 1929, le riz d’Indochine ne trouve plus preneur. Ses débouchés habituels, la Chine et le Japon, se ferment et l’abondance des récoltes ces années-la font s’écrouler les prix.


Zoom sur quelques cases du jeu du riz indochinois

Les exportateurs convainquent le Gouvernement General de l’Indochine de mettre en place une campagne de pub pour favoriser le riz d’Indochine en métropole. En effet, à cette époque, il ne représente que 12% du riz consommé en France, qui vient principalement des Etats Unis et d’Italie.

C’est l’agence Havas qui est chargée de mettre en scène la campagne. L’idée est de lutter contre les préjugés négatif en vigueur à cette époque en insistant au contraire sur le coté bon, sain et nutritif du riz.

Deux axes sont visés, l’alimentation humaine et celles du bétail.

La première chose qui est faite est la création d’une marque d’origine et de qualité ainsi qu’un logo. Ce logo sera imprimé sur tous les sacs de riz destinés à l’export.


Logo créé pour l’occasion et imprimé sur des cartons destinés aux épiciers

En métropole, c’est un matraquage publicitaire qui a lieu. Des milliers de pancartes seront imprimés avec le fameux logo à destination des épiciers et revendeurs. Des tracts et brochures seront édités avec la présence de nombreuses recettes culinaires. Les pubs seront diffusées non seulement dans les journaux nationaux et provinciaux mais aussi dans les revues spécialisées pour les femmes, comme « le cordon bleu ». Deux films seront réalisés pour le cinéma. 500.000 jeux du riz, sur le modèle du jeu de l’oie, seront distribués dans les grands magasins parisiens.

Innovation pour l’époque, Havas mise sur les slogans courts plutôt que sur les longs discours..

Les grands donneurs d’ordres ne seront pas oubliés. On découvre à cette occasion que les bidasses n’aiment pas le riz à cause d’un taux de brisures trop élevé qui le rend immangeable. On change les cahiers de charges de l’armée, des cantines, de l’assistance publiques pour limiter à 10% le taux de brisure.. et on fournit des cuisiniers indochinois pour former les équipes à bien cuire le riz…


L’une des nombreuses déclinaisons des publicités pour le riz indochinois

Une autre campagne est mené en parallèle pour le milieu agricole, dans les revues et foires spécialisées. L’idée est de promouvoir le paddy indochinois « sans faire concurrence au monde agricole français »


Gadget réalisé à cette époque (source ebay)

Les résultats ne se font pas attendre. La consommation de riz en France augmente, de 1929 à 1932, de 41%, et le riz d’Indochine de 46%. C’est non seulement bon pour les producteurs indochinois mais aussi pour la balance commerciale de la France ! Le succès est continue si on en juge ces chiffres: 200.000 tonnes exportés en metropole en 1929 à 700.000 tonnes en 1934… Une belle victoire en pleine crise économique mondiale.


livret de recettes (source ebay)

Source principale: article de 1933 du Bulletin de l’Agence Economique de l’Indochine (gallica)