Pour mieux comprendre comment fonctionne la société vietnamienne, je m’intéresse cette fois-ci aux conditions de travail des vietnamiens dans les grandes entreprises locales. J’ai interrogé Ngoc Anh, 33 ans, qui va nous éclairer.
Ngoc Anh (NA pour plus de facilités) a travaillé 4 ans et demi pour un parc d’attraction, filiale du plus gros groupe privé vietnamien. Ce parc emploie 550 personnes. Elle a travaillé pour le département « ventes et marketing ».
Le recrutement fut très rapide, une semaine, période pendant laquelle se sont succédés entretiens et tests.
NA a un statut un peu particulier. Elle n’est pas employée de base, avec un travail posté et des horaires bien définis. Elle n’est pas non plus manager, avec un travail au forfait. Elle est entre les deux, ce qui est bien pratique pour l’employeur : elle doit accomplir son travail dans les délais impartis, quitte à travailler la nuit et le weekend.
Un « team building » auquel Ngoc Anh a participé comme organisatrice
De fait, son temps de travail effectif tournait autour de 60 heures par semaine, avec de nombreuses soirées et dimanches travaillés, sans contrepartie. Son salaire était certes confortable sur le papier (18 millions de dong de salaire brut , soit 500 euros après impôts environ) mais pour ce salaire, elle a été corvéable à souhait. Selon la loi, la durée maximum du travail est de 48 heures par semaine. Elle a droit à 1,5 jours de congés par semaine.
En fait, dans un pays confucéen, il est quasiment impossible de dire « non » à son supérieur. Si on vous appelle à 22heures pour un travail à finir avant le lendemain matin, les gens vont s’exécuter sans sourciller.
Cette culture aboutit à tous les excès et surtout n’encourage pas les gens à planifier leur travail. Tout se fait toujours dans l’urgence, d’autant plus que les vietnamiens sont des gens impatients. NA estime à 70% son travail fait dans l’urgence..
La pression est donc permanente sur les employés. Certains font avec, d’autres démissionnent, ce qui contribue à un turnover important.
Dire “non » à son supérieur est bien aussi un rapport de force entre l’employeur et son employé. Cela implique, pour ce dernier, une personnalité supérieure à la normale, et être convaincu de la valeur de son travail. D’une manière générale au Vietnam, les gens ont une personnalité de soumission, ce qui facilite les choses coté employeur. NA me dit avoir toujours dire « oui » les 2 premières années, un peu moins après, consciente de sa valeur dans l’entreprise. Comment peut-on dire « non » ? Si la demande arrive par texto, il suffit de faire en sorte de ne pas le voir. En revanche, au téléphone, c’est plus difficile car il serait extrêmement impoli de ne pas répondre. Les appels se font à toute heure du jour ou de la nuit, dimanche compris.
Les salariés cotisent pour les syndicats, c’est obligatoire et cela passe directement sur le bulletin de paye. NA ne les a jamais vus ni rencontrés durant toute sa présence dans l’entreprise et elle ne sait pas à quoi ils servent.
Une soirée de team building, sans doute pas l’épreuve la plus difficile!
Son salaire comporte une partie fixe de 70% et une partie variable. Celle-ci est minorée en cas de « fautes », c’est-à-dire de non respect du règlement intérieur. Il parait que les fautes sont aussi identifié par les caméras de l’entreprise. Porter des chaussures de couleurs non autorisées sur une journée « coute » 200 Kvnd (8 euros). Les règles peuvent être propres à chaque service bien sur, mais l’une des règles est communes à tous, c’est le pointage. Pour NA, arriver à 8h32 au lieu de 8h30, c’est une demi-heure de décompté. Si vous oubliez de dépointer en fin de journée, cela vous coute une journée de travail ! NG s’est souvent faite « avoir » : travaillant jusqu’à 10 heures du soir, elle quitte l’entreprise épuisée sans dépointer. La sanction est immédiate, elle aura travaillé une journée pour rien… les vietnamiens étant très “tête en l’air », j’imagine que ce type de sanctions est peut-être le seul moyen efficace pour l’employeur! Au niveau du poste de NA, il n’y a pas de télétravail possible « officiellement ». Si elle le fait, c’est parce qu’elle n’a pas fini sa tache.
NA a officiellement 12 jours de congés par an, plus les congés pour le Têt. Mais c’est quasi impossible de planifier quoique ce soit, car votre supérieur peut toujours annuler vos congés à la dernière minute. Dans ce cas, la méthode la plus courante est de ne pas aller travailler..
Dans les grosses entreprises vietnamiennes, la mode est au team building, ce qui était le cas aussi pour NA. Elle me précise pourtant que « sous une apparente décontraction » peu de gens aiment ca, car les jeux sont éreintants et que, là encore, personne ne peut se plaindre.
Parmi les services offerts aux employés, notons une cantine, une mutuelle santé, une salle de fitness et des dortoirs pour ceux qui souhaitent rester là le soir. 4 lits par chambre. Toutes disposent de machine à laver pour les affaires personnelles. Il n’est permis de quitter l’’entreprise avec les uniformes.
Il n’y a pas vraiment d’entretien d’évaluation mais simplement un formulaire de satisfaction à remplir. Si vous vous permettez d’indiquer que vous n’êtes pas pleinement satisfait, on vous rappelle aussitôt pour en discuter et surtout pour vous faire changer votre réponse. Si vous persistez, vous êtes considéré comme une forte tète..
Vous pouvez postuler dans une autre branche du groupe, mais le transfert effectif est soumis à l’accord de votre responsable..
Team building au bord de la plage
NA a eu des formations en interne. Ces formations se terminent toujours par un examen. Si vous échouez, on vous retient tout ou partie du cout de la formation sur la partie variable de votre salaire. De même, la diffusion des nouveaux règlements intérieurs, 2 fois par an en moyenne, font l’objet d’un test d’assimilation. Si vous échouez, vous êtes impacté financièrement.
Travailler dur, souvent gratuitement, est il le gage d’avoir un important bonus en fin d’année ? Il y a un 13eme mois, presque en vigueur partout au Vietnam, et des bonus collectifs basés, par exemple, sur le résultat de l’entreprise. On retrouve aussi un bonus pour « les meilleurs employés de l’année ». NA n’a jamais perçu de bonus. En revanche, les salaires sont revus chaque année.
Comment une entreprise peut faire pour se séparer d’un salarié ? Soit pour faute grave, soit en mettant une pression encore plus forte, poussant le salarié à démissionner.
Na a finalement choisi de démissionner car elle ne se voyait plus évoluer dans son travail.
A la question « et si c’était à refaire ? », elle répond « oui » sans hésiter.
Les différences culturelles dans le monde de l’entreprise ne sont finalement pas très éloignées de la culture vietnamienne : ne pas se plaindre, être toujours satisfait de son sort, absence de cloisonnement entre vie privée et vie professionnelle…
Pour un occidental qui voudrait travailler au Vietnam, ca risque d’être plus difficile ! Il vaut mieux être le patron qu’un employé !