Catégorie «Indochine»

La baignoire, symbole anodin de la colonisation

A Hué, je vais souvent rendre visite aux Soeurs de St Paul de Chartres. La bâtiment qu’elles occupent a été construit dans les années 20 sur un terrain donné par le Résident Supérieur d’Annam, Pierre Pasquier, futur Gouverneur de l’Indochine, pour que les soeurs s’occupent des tuberculeux soignés dans un pavillon tout proche.

Des Soeurs françaises sont venues, et le mobilier habituel a suivi… dont cette baignoire en fonte. Étonnant objet dans un pays qui ne connait pas ce luxe…

J’ai relu récemment l’oeuvre de Marguerite Duras « Des barrages contre le Pacifique » et un passage m’a refait penser à « la baignoire des Soeurs » ! :

« Les quartiers blancs de toutes les villes coloniales du monde étaient toujours, dans ces années là, d’une impécable propreté. Il n’y avait pas que dans les villes. Les blancs aussi étaient très propres. Dès qu’ils arrivaient, ils apprenaient à se baigner tous les jours, comme on fait des petits enfants, et à s’habiller de l’uniforme colonial, du costume blanc, couleur d’immunité et d’innocence. Dès lors, le premier pas était fait. La distance augmentait d’autant, la différence première était multipliée, blanc sur blanc, entre eux et les autres, qui se nettoyaient avec la pluie du ciel et les eaux limoneuses des fleuves et des riviéres. Le blanc est en effet extrênement salissant.
Aussi les blancs se découvraient-ils du jour au lendemain plus blanc que jamais, baignés, neufs, siestant à l’ombre de leurs villas, grands fauves à la robe fragile. »

Les Soeurs françaises sont reparties, et les 3 baignoires servent aujourd’hui de réservoirs d’eau pour arroser le jardin…

Gravures traditionnelles du Vietnam

Hué a la chance de posséder un centre culturel francais qui, outre l’enseignement de notre langue, offre de nombreuses activités: expositions, concerts, projections de films…

Jusqu’au 4 mars 2012 se tient une exposition de dessins réalisés par les éléves de l’Ecole d’Art de Gia Dinh (Saigon) entre 1935 et 1937. 25 dessins et aquarelles sont présentés, sur un fonds de 400 planches conservées jalousement par la nouvelle structure de l’Association des Amis du Vieux Hué.

Ces dessins portent sur la vie et les traditions de cette période. Un témoignage d’autant plus exceptionnel que la plupart des planches sont en couleur, ce qui tranche avec le traditionnel « noir et blanc »…

La diversité des styles et la qualité d’exécution attestent du talent des élèves envoyés, pour l’occasion, en observation aux 4 coins de l’Indochine.

Voici ce que Jean Tardieu, fils du célebre Directeur de l’école des Beaux Arts de Hanoi, écrivait à propos des élèves de cette institution en 1928 :

« L’école de dessin, à laquelle s’adjoignent à présent une section d’architecture et une d’art décoratif, fonctionne admirablement. Il y a plus d’élèves que n’en peuvent contenir les ateliers. Ce sont tous, bien entendu, des Annamites. Presque tous sont très doués, travailleurs, surtout intelligents et fins. En outre, étant pour la plupart gens de bonne famille, fils de mandarins, de bourgeois riches ou d’aristocrates, ils ont une distinction, une « gentillesse », une allure racée, que l’on chercherait vainement parmi les élèves des Ecoles d’Art de France ! Enfin ce sont des jeunes gens que l’on voudrait avoir pour amis. Je m’efforce le plus possible de me mêler à eux. Malheureusement c’est très difficile : ma condition de Français, donc « d’oppresseur » me relègue à l’écart ; et je souffre beaucoup de la déférence, de la politesse exagérée qu’ils se croient obligés de me manifester lorsqu’ils me voient. » (Lettres de Hanoi écrites par Jean Tardieu à Jacques Heurgon et Roger Martin du Gard, publiées en 2004 sous l’égide de l’Ambassade de France au Vietnam)

Les socques font parties des rares objets anciens qui n’existent plus ici. La description qu’en faisait Jean Tardieu nous les font regretter!

« Enfin le plus délicieux dans tout cela : le bruit que font les socques de bois frappant le pavé. Ces socques recouvertes d’un vernis brillant rouge ou jaune ou vert ont à peu prés la forme que voici [..] De sorte que le talon en touchant le sol donne une note de xylophone et que la planchette qu’il supporte forme table de résonance lorsque le pied dont la pointe seule est maintenue par un lien de cuir, quitte à chaque pas son appui. Je pense que cette musique des sabots doit être pour le peuple une coqueterie voulue, recherchée. Il suffit que 4 ou 5 passants portant ces socques marchent ensemble sur un trottoir pour que toute la rue se mette à chanter. Dans une paire, chaque sabot rend naturellement un son différent : rien de plus délicieux que de voir une petite Annamite du peuple, proprette, digne et se tenant bien droite sous son immense chapeau-ombrelle, avec le souci de lui faire tenir en équilibre, frapper d’un pas égal et souple sur le sol, alternativement son ré dièse et son bémol. J’ai passé quelques temps, un jour, devant l’étalage d’un cordonnier annamite, à faire sonner successivement sur le trottoir les talons de 40 paires de socques – fous rires à l’intérieur de l’échoppe, pères, mères, frères et sœurs découvrant leurs dents de laque noire s’exclaffaient gentiment de me voir ainsi occupé ! »

Cambodge: renaissance du Bokor Palace !

La vieille route étroite construite du temps des français vient de laisser place à une route magnifique, extravagante dirons nous, pour accéder au sommet de cette station d’altitude créé au début des années 20. Aujourd’hui, des centaines de cambodgiens s’afférent non loin du sommet à construire un immense hôtel casino. Quant au Bokor Palace, vestige de l’époque coloniale et abandonné depuis des décennies, il est en cours de rénovation !

La création de la station du Bokor revient au Résident Supérieur Beaudoin. Il s’agit de créer alors une station d’altitude qui soit « mieux et plus grand » que Dalat. Dalat est à 1500 mètres d’altitude contre 1060 mètres pour le Bokor, jugé donc plus accessible pour les populations anémiées. On y aménagera une ferme d’élevage qui fournit du lait, une station agricole avec des cultures maraîchères, des arbres fruitiers, une roseraie et des plantations de thé. Mais pour obtenir des financements pour la station et la promouvoir, rien de tel que d’y installer un palace. A cette époque en effet, on cherche à attirer en Indochine les riches touristes. A peine 500 touristes visitent « les ruines d’Angkor » alors qu’ils sont dix fois plus à visiter les colonies hollandaises de Java… On a de grosses ambitions pour le site du Bokor qui doit devenir à terme le sanatorium du Cambodge, de la Cochinchine mais aussi du Siam. Les européens et américains vivant à Bangkok, distant de 600 km par la mer, sont particulièrement visés, et peuvent se rendre en bateau par liaison hebdomadaire au nouveau port de Réam, situé non loin du Bokor.

Ce sont les prisonniers cambodgiens qui vont construire la route et toutes les infrastructures de la station. Certains réussiront à s’échapper, d’autres y perdront la vie. « Une route splendide grimpe en lacets le long des contreforts du massif de l’Eléphant pendant 28km, serpente en pleine foret vierge, pour finalement aboutir à un plateau d’où la vue s’étend sur le Golfe du Siam ».


L’arrière du Bockor Palace

L’Administration locale subventionne alors massivement toutes les activités liées au tourisme et l’Hotel-Palace du Bokor ne fait pas exception. Le site est choisi pour sa beauté naturelle, et du haut du « nid d’aigle » à 1080 mitres d’altitude, la vue, spectaculaire, donne sur les îles du golfe du Siam dont l’île de Phu Quoc.. Le nom Bokor signifie en Kmer « la bosse du buffle ».


Le Bockot Palace en 1925, avec le drapeau tricolore..

Inauguré en 1925, le Palace compte 18 chambres. L’hôtel dispose du chauffage électrique, équipement exceptionnel pour l’époque. A l’époque, on y reste pour des séjours prolongés, parfois un mois complet. A proximité, un bureau de Poste et une petite église. Quelques chalets et villas occupent le plateau. La station est ouverte 6 mois par an, de novembre à mai. Le site est admirable pour les promenades. Outre la marche, on peut y pratiquer le cyclisme et l’équitation. Les cascades ne manquent pas et l’eau de la source Marie Magdeleine est excellente, Le long des chemins, on trouve des orchidées, des « sabots de Venus » et des « Népenthes » (plante carnivore). Coté faune, des cerfs et chevreuils en grand nombre, des gibbons, des écureuils rouges, des troupeaux d’éléphants sauvages et même parfois, le tigre…

Néanmoins l’arrogance du luxe à Bokor provoque l’ire de quelques journalistes. Pourquoi le budget local servirait-il à faire plaisir à quelques riches fonctionnaires, planteurs et touristes alors que 9/10 des villages du Cambodge ne possèdent pas d’écoles…

Le site lui-même est critiqué. Trop pluvieux (plus de 200 jours de pluie par an..), toujours dans les nuages et surtout trop exposé au vent…

La station n’aura pas le succès de Dalat, qui était prévue pour devenir la capitale de l’Indochine par l’Amiral Decoux, au pouvoir pendant la 2e guerre mondiale. La station de Bokor est abandonnée par les Français en 1940, puis sera occupée par les Khmers Rouge à partir de 1972. Il sera très difficile de les déloger.

Depuis quelques années, le gouvernement cambodgien a décidé de relancer cette station. Casino, hôtels, golf sont prévus et c’est un immense chantier qui a démarré. Le plus dur sera peut être d’accéder en haut de la station par la route, les asiatiques étant très sensibles au mal de cœur ! Après 32 km de grimpette, dans quel état vont arriver nos joueurs de casino ?

Sources principales : L’Eveil Economique de l’Indochine, Le Bokor et la cote d’Opale (1925) disponible sur Gallica

Sadec, nostalgie…

La maison du père de l’Amant ( du roman de Marguerite Duras) se visite à présent avec un guide. On peut même y loger, contre 30 USD (2 chambres) avec un service sur mesure… La décoration est magnifique, et on notera même que le carrelage a été importé de France (1917).

Photo extraite d’un album photo d’une famille de Sadec..

Entre les deux photos qui suivent, un siècle d’écart…

A 40km de Sadec, près de Lap Vo, une maison coloniale a l’abandon, le long du bras du Mekong. Heureusement qu’ici, il n’y a pas de dégradations gratuites. Seul le climat laisse des traces.

Suite sur http://belleindochine.free.fr/Sadec.htm

Sadec

Après la transformation urbaine de Saigon, j’étais curieux de voir si les petites villes bénéficiaient aussi de cet engouement. Et bien non, Sadec reste une bourgade bien agréable, à l’écart de la frénésie urbaine.

Il reste encore quelques bacs pour traverser les bras du Mekong…

La rivière continue d’être un axe majeure pour la circulation des marchandises

Le long de la rivière, on peut savourer des fondues, les « Lau » vietnamiennes, riches en couleurs et même en fleurs qui se mangent…

On trouve aussi à Sadec les meilleurs petits déjeuners du Vietnam… Servis avec un petit verre de vin cuit, les oeufs au plat, le bifteck et l’assaisonnement qui va avec (coriandre) sont un véritable délice. J’en ai testé des centaines au Vietnam, c’est ici que la formule est la plus magique ! On remarque de suite, dès l’entrée, que la propriétaire n’a pas servi des petits déj. toute sa vie. En fait, issue d’une famille bourgeoise, elle occupait une grande maison en face de celle d’aujourd’hui. Mais la famille a du signer un acte de « cession » lors de la « libération ». L’ancienne maison a été remplacée par un bâtiment administratif sans âme, en face, qui reste vide aujourd’hui… Dans la maison occupée aujourd’hui, bel hôtel des ancêtres et un atelier de réparation d’horloges électrique riche de nombreux exemplaires des années 50.

Ailleurs en ville, jolie temple …

Au marché, le prix des grenouilles et le même que celui des mulots (des rizières..) : un peu plus d’un euro le kilo….

Le plus vaste jardin « privé » de Saigon…. est français

J’ai eu le privilège de visiter la Résidence du Consul de France, située en plein coeur de la ville. Ce bâtiment, construit en 1872, est l’un des plus anciens édifices de la période coloniale et il est certainement le seul à avoir conservé son bâti d’origine et son écrin de verdure. Le jardin y est admirable, riche en variétés qui ont eu plus d’un siècle pour s’épanouir…
Propriété de la France depuis l’origine, sa fonction fut d’abord une résidence pour le haut commandement militaire puis destinée à la fonction diplomatique.
La bâtiment est entouré d’une large coursive, esthétique et utile pour la circulation de l’air, mais qui réduit d’autant l’espace habitable. A noter un magnifique escalier de service, provenant d’un bâtiment de guerre, tout en fonte. Parmi les quelques objets anciens, à noter une belle argenterie aux emblèmes de Napoléon 3, à qui l’on doit la conquête en 1859. A l’extérieur, quelques stèles en souvenir de l’ancien cimetière européen, déménagé au début des années 80 pour faire place à un jardin public (les corps ont été rapatriés ou transférés dans une nécropole).
A noter que la Résidence peut être visitée lors des Journées du Patrimoine.