C’est un miracle que les bâtiments coloniaux ne s’écroulent pas plus souvent, car la plupart sont dans un état précaire.. mais le 22 septembre dernier, la vieille bâtisse du 107 Trang Hung Dao à Hanoi n’a pas résisté à la nouvelle saison des pluies et s’est écroulée. Cet effondrement provoqua la mort de 2 personnes et de nombreux blessés. Ce bâtiment, situé à quelques centaines de mètres de la gare, était occupé par les services administratifs du chemin de fer. Mais son style, sa dimension révèlent une histoire bien plus riche. Ce fut en effet le siège de la loge maçonnique du Tonkin, construit en 1905.
Carte postale du bâtiment au siècle dernier (source internet)
La franc maçonnerie s’est implantée dès l’arrivée des français au Tonkin en 1887. Durant la présence française, il est surprenant de voir que la plupart des hauts fonctionnaires en faisaient partis. 22 des 32 gouverneurs généraux d’Indochine, six des huit hauts-commissaires, les quatre commissaires généraux, neuf des seize gouverneurs militaires, ont appartenu à la franc-maçonnerie. La loge de Hanoi fut construite grâce à la générosité de Paul Beau, gouverneur général de 1902 à 1907.
Vue du bâtiment effondré (source internet)
Au début du siècle dernier, les francs maçons s’attaquent au clergé et à sa richesse. Ils s’activent en faveur d’une éducation laïque car les institutions scolaires en Indochine sont trop souvent la propriété des catholiques.
On peut lire par exemple dans l’ouvrage de Van Raveschot en 1906 : « en fait de civilisation, d’émancipation, d’éducation, M. Doumer [Gouverneur General de 1897 a 1902] s’appliqua surtout à favoriser, à fortifier l’action rétrograde et abrutissante, les entreprises commerciales des missionnaires, à leur permettre d’accaparer, de voler toutes les terres dont ils avaient envie. Au lieu de fonder des écoles et de laïciser les établissements hospitaliers ou autres, M. Doumer préféra subventionner largement les missions catholiques et leur donner ainsi, aux yeux de la population indigène, l’apparence d’être sous le contrôle et la protection de l’Etat, de dépendre officiellement de l’Administration française. » (« La franc maconnerie au Tonkin et les agissements des missionnaires en Extreme Orient »)
Les missions sont souvent prises à partie par les francs maçons car les prêtes sont accusés de jouer « contre leur camps ». Ils favorisent par exemple l’apprentissage du Ngoc Ngu (la langue actuelle) au dépend de la langue française (1). Les missionnaires espagnols, présents dans le nord Vietnam sont particulièrement visés. Mais ces discussions n’aboutissent pas à des décisions politiques, la laïcité « n’étant pas une valeur d’exportation ». Ainsi, la loi de séparation entre l’église et l’état de 1905 .. n’est pas appliquée en Indochine, par pragmatisme.
Les loges sont peu ouvertes aux vietnamiens d’origine. Ceux-ci sont davantage accueillis en France pour ceux qui ont la chance de s’y rendre… On sait que le leader Ho Chi Minh et l’ex empereur Duy Tan furent initiés dans des loges de Paris, respectivement en 1922 et 1927. D’autres étudiants vietnamiens ont défendu la cause nationaliste dans ces loges. Les choses évoluent à la fin des années 20 et les loges vietnamiennes s’entrouvrent ou sont créés pour accueillir l’élite locale. Pham Quinh, patriote et francophile, ministre de Bao Dai et tué par le Viet Minh en 1945, en fera parti.
Autre vue
La période Pétainiste sous l’Amiral Decoux est un coup dur porte aux francs macons. Les listes de membres, présents ou passés, sont publiés, et ce qui en font toujours partis sont mis à l’index.
Apres 1945, les loges maçonniques sont clairsemées. Il n’y a que 7 membres à la Fraternité Tonkinoise à Hanoi en 1949. A Saigon, on change les règles, pour limiter le nombre de fonctionnaires et renforcer la présence des colons. Apres le départ des français, il ne reste que 2 loges à Saigon. Elles survivent difficilement dans les années Diem, hostile à toute présence française. En 1975, le basculement de toute l’Indochine dans le communisme met un terme aux activités maçonniques.
(1) voir le livre de Camille Paris « Missionnaires d’Asie : œuvre néfaste des missions », disponible en ligne sur Gallica
Sources :
– Eda, Agence d’informations des Missions Etrangères de Paris,
– Francs – Maçons d’Indochine 1868-1975, Jacques Dalloz, Edition Maconique